Bulletin météo
par C’est Nabum
samedi 16 mai 2015
Intermède ...
Le ciel peut attendre.
Curieux phénomène ! Plus la France s'urbanise, plus la météorologie devient le souci majeur du citadin en refus de contrariété. La pluie, quelle horreur ! La neige, quelle panique ! La grêle, ciel ma carrosserie ! Le vent, souffler n'est pas jouer ! Le soleil, c'est beaucoup mieux mais gare aux vieux, aux yeux, aux gueux …
Sujet de conversation idéal, le discours sur le temps vous permet de ratiociner entre collègues, voisins ou amis sans aborder les sujets qui fâchent. On se félicite du retour du soleil en pleine crise de sécheresse. On maudit la pluie du samedi qui est pourtant si nécessaire. On applaudit à cet été indien au cœur de novembre sans voir plus loin que le bout de son cache-nez. On s'émerveille de ce printemps qui prend déjà des allures d'été …
Moins les hommes se trouvent en lien direct avec dame Nature, plus ils ont une opinion tranchée sur le temps qu'il doit faire : « Du soleil, de la chaleur et rien d'autre ! ». Les égoïstes se ramassent à la pelle : ils prennent presque tous leur retraite dans des pays qui correspondent à cette attente infondée, pour peu qu'ils en aient les moyens. Le soleil leur servira sans doute d'amnésie confortable afin d'oublier les outrages de l'autre temps : celui qui passe de manière irréversible.
Des présentatrices, à la plastique forcément estivale, interprètent magnifiquement des bulletins prévisionnels qui sont devenus, au fil du temps mauvais ou non, la cerise sur le gâteau du journal télévisé. L'éphéméride complète les annonces de dépressions, d'anticyclones et de précipitations. Curieusement, plus ces dernières sont nombreuses, plus les femmes-soleil prennent leur temps pour les évoquer : une erreur de syntaxe sans doute !
La ménagère de moins de cinquante ans et le beauf de tous les âges s'extasient devant cette science divinatoire. Cela permet de s'habiller convenablement pour sortir le lendemain. Il suffirait de mettre le nez dehors, à la fenêtre ou au balcon, mais la nuit porte conseil et permet plus sûrement d'associer les différents éléments pour que la vêture soit météorologiquement adaptée aux prévisions qu'il faut suivre à la lettre tout en restant esthétiquement soigné.
Les ruraux se moquent bien de ces bulletins citadins. À l'heure du journal, ils sont encore nombreux à nourrir les bêtes. Eux vivent vraiment au rythme des saisons, subissent les caprices du temps, les variations saisonnières ou non et n'en font pas des tonnes. S'il pleut, ils se réjouissent tout en s'indignant des plaintes de ceux qui n'en n'ont cure. Et s'ils ont besoin d'une prévision fiable, précise, circonstanciée et localisée, ils se passeront des niaiseries télévisuelles pour aller quérir ce qu'ils veulent savoir sur un site spécialisé.
Le temps qu'il fait, qu'il fera encore si tout va bien, ce n'est pas chose futile pour garde-robe sophistiquée. Le sujet est grave si on lui accorde toute la profondeur qu'il mérite. Il faudrait évoquer les papillons qui disparaissent de notre environnement, des abeilles qui meurent par essaims, des nappes phréatiques qui se vident, des colères célestes qui se font de plus en plus grosses. Le dérèglement climatique est désormais la terrible menace que les faux météorologistes de studio semblent être les seuls à ignorer.
La petite pluie qui chagrine, la grosse neige qui enlise sont bien peu de choses au regard de ce qui se trame. Drôle de trame qui, en filigrane, laisse apparaître les prémices d'une catastrophe annoncée pourtant depuis belle lurette. Demain, un bon petit coup de vent aura chassé les nuages ; la présentatrice abordera un merveilleux sourire et le bulletin promettra un week-end sans humidité. Seuls les naufragés de la route, les victimes des inondations ou des raz-de-marée toucheront les journalistes du drame et de l'émotion. Quand on évoque la météo, il faut satisfaire uniquement notre appétit de soleil en oubliant les grandes tendances qui préfigurent la prochaine calamité.
Nos riches retraités au Maroc, en Tunisie ou en Provence, ces nantis d'aujourd'hui qui ont construit leur confort sur la catastrophe en devenir, pourront ressortir les crèmes solaires et goûter cette vie à l'abri des regards et de la conscience. Heureusement, le mélanome les menace ! Nos citadins oublieront bien vite les désagréments d'un jour de pluie, d'un coup de froid, d'un brouillard à couper au couteau tandis que les paysan continueront à travailler pour un salaire de misère.
Ainsi va la vie : grand beau ici, coup de froid plus loin, cataclysme ailleurs, tempête chez les mêmes, ouragans et tornades pour de jolies images … Sale temps pour la planète et coup de chaleur dans les rédactions.
Anticycloniquement vôtre.