Cassure

par C’est Nabum
mardi 28 novembre 2017

Quand la vaisselle vole

Ils se sont aimés, ils se sont promis pour la vie, persuadés que leur bonheur serait sans fin, inébranlable, unique, au-dessus des mesquineries de l’existence, des tromperies et des mensonges. Ils ont cru aux promesses d’un avenir sans faille, d’une existence idyllique. Ils allaient tous deux sur les chemins de la félicité.

Puis une faille est apparue, quelques incompréhensions, des discordes, des dissensions. De tout petits riens qui finissent par envahir l’espace et les esprits, par focaliser les attentions, par nuire à la quiétude de ce couple. Des dérapages insignifiants, des mots blessants, des négligences coupables, des maladresses indélicates. La distance s’est faite, insidieusement, sournoisement. Des pensées qui vagabondaient vers d’autres, un désir qui s’effritait, des plaisirs qui ne se partagent plus.

Il y eut une longue période de colmatage, de concession, de soupçons qui ne se disent pas. Il y eut encore de la suspicion, des vérifications insidieuses, la recherche d’un parfum, d’un message, d’un indice laissant penser à une trahison, à une tromperie. Les regards étaient torves, les emplois du temps incertains, les silences pesants. Chacun se regardait en chien de faïence et évitait de se livrer. La sincérité avait déserté le nid douillet.

Puis il y eut la certitude. Une preuve intangible, la marque du forfait. Plus rien ne pouvait être comment avant, il fallait agir, sévir ou bien pardonner. Mais la seconde proposition semblait désormais impossible, le mal était fait, les mots commencèrent à se faire virulents, pesants tranchants. Pour faire mal, des phrases définitives dépassaient la pensée, venaient creuser un sillon profond, une blessure purulente.

Ils évitèrent les coups, ceux-là avaient cette distance nécessaire pour ne pas sombrer dans ce pathétique humiliant et dévastateur. D’autres hélas ne sont pas en mesure de faire de même. Ils se contentèrent de briser une assiette, un verre, de se lancer à la figure des vérités qui attendaient leur heure depuis des années. Les dos se tournaient, les larmes coulaient, la rage montait en eux.

Un porte claqua, une valise se fit. L’irrémédiable était en marche, un moment théâtral, une envie d’attendre un signe, un nouveau départ. Au lieu de quoi, c’est un « bon débarras » qui sonna le glas de ce qui avait été et ne sera plus. L’un s’en va, l’autre reste là, seule, dévastée mais soulagée de n’avoir pas cédé, d’avoir su conserver sa dignité.

Le temps passe, les plaies suintent. Les souvenirs reviennent à la surface, l’envie de pardonner également. Mais comment faire machine arrière quand les mots ont été si forts, quand ils ont blessé, sali, tué l’amour ? Il faut tout reconstruire, oublier et repartir pour une nouvelle aventure. Ce n’est pas toujours facile, ce n’est pas toujours possible. L’ombre revient souvent à la surface, elle s’insinue dans les rêves, se fait insomnies chroniques.

L’un réclame l’oubli tandis que l’autre a tourné la page. C’est déjà trop tard, elle est partie pour autre chose, une nouvelle histoire plus belle, plus simple, plus neuve. Les routes se sont définitivement perdues, il n’y a plus d’espoir. Que faire des souvenirs ? Les détruire pour éviter qu’ils ne refassent surface ? Il convient de garder en mémoire l’assiette et le verre brisés, la marque de la cassure, de l'irrémédiable cassure.

Ils se croiseront à nouveau bien des années plus tard. Indifférents l’un à l’autre, le temps aura fait son œuvre. Mais en attendant, la souffrance est immense, le chagrin aussi. Quel gâchis ! Quelle désolation ! La vie est ainsi un long chemin de croix. Cette histoire se répète éternellement ici ou là et seuls les marchands de vaisselle se frottent les mains. Les cœurs saignent, c’est même-là leur fonction première.

Désespérement leur.


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