Ce qui ne se dit pas se conçoit-il aisément ?

par C’est Nabum
jeudi 9 octobre 2014

Le Royaume du non-dit

Les travers des habitudes …

Je viens d'arriver avec mes gros sabots de pédagogue, tanné par le poids des années et des expériences diverses, dans une structure qui sort du cadre de l’Éducation Nationale. L'aventure ne manque pas de piquant pour un vieil enseignant, totalement adapté aux usages internes de la grande maison « Éducation Nationale ». Elle vient ajouter du piquant à une fin de carrière qui n'en finit pas d'arriver, de reculades législatives en reculades personnelles ….

C'est donc en observateur naïf que je découvre les us et coutumes d'un univers qui n'a jamais été le mien. Je suis dans le rôle du jouvenceau, moi, qui depuis bien longtemps, ne joue plus les jeunes premiers. Trouver sa place dans ces conditions relève d'un double tour de passe-passe : abandonner des pratiques professionnelles qui ont construit mon parcours tout en intégrant des procédures qui me sont nouvelles.

Il n'y aurait certainement pas matière à billet si, du côté de la puissance invitante, je n'avais l'image d'un professionnel d'expérience qui, forcément, allait comprendre l'ensemble des usages de sa nouvelle maison sans que jamais on ne les lui explique vraiment. C'est sans doute là que cette expérience prend une valeur plus générale que mon modeste cas.

Combien d'actions sont ainsi, dans les structures, considérées comme allant de soi ? La liste en est si longue que nul ne songe à préciser ce qui semble évident, intégré si parfaitement au quotidien qu'il n'est pas utile de l'expliquer. Le nouvel arrivant n'a qu'à avoir des dons de divination pour entrer dans le moule, faire preuve d'un peu de bonne volonté et d'une grande faculté d'observation.

Certes, l'attente n'est pas surprenante et la méthode peut s'avérer efficace pour un jeunot qui passe forcément par une période d'adaptation. Mais, hélas, la vieille ganache que je suis a voulu foncer, tête la première, pour se mettre au travail, sans se soucier vraiment de découvrir les arcanes du lieu. De cette dichotomie naissent bien vite des incompréhensions, des bourdes et des malentendus.

Les malentendus peuvent, à la limite, être passés sous silence au royaume du handicap. La bourde passe beaucoup moins bien dans un domaine où la forme prime sur le fond, où la procédure relève du contrat intangible. Quant aux incompréhensions, elle s'accroissent progressivement jusqu'à finir par exploser au grand jour. C'est ainsi que le nouveau passe alors pour un idiot qui n'a rien compris !

La sentence est assez juste. Comment comprendre ce qui n'est pas formulé clairement ? Quand la routine se nourrit de non-dits, quand le discours fait l'économie des explications, quand les attentes relèvent du « ça va de soi ! », vous ne pouvez échapper à ce curieux sentiment de décalage insoluble ! J'en suis là de ma période d'observation active dans cet univers complexe.

A ce propos, pouvez-vous me répondre : combien d'organismes prennent la peine d'écrire les usages de leur maison ? Combien de métiers se posent la question des pratiques silencieuses ? Combien de personnes pensent à accueillir le nouveau en lui donnant le mode d'emploi avant les clefs du camion ? Car loin de moi l'intention de pointer du doigt la responsabilité de la structure que j'intègre : ce qui se passe sous mes yeux et dont je fais les frais, appartient à l'universalité des groupes humains. Il faut en passer par là pour essuyer les plâtres et pouvoir mettre enfin ses posters contre les murs.

Je vais faire profil bas. Il n'y a pas d'autres manières d'agir. J'ai forcément tort car je suis seul. Le nombre fait loi, surtout quand cette dernière n'est pas gravée dans l'airain. J'en conviens et ronge mon frein. Je saurai décrypter cette communication du silence ; je parviendrai, enfin, à comprendre ce qui se conçoit si bien qu'il n'est même pas nécessaire de le préciser.

Lire dans les pensées, anticiper les attentes qui ne se disent pas, devancer les demandes qui sont tues … Finalement, ce sont les exigences auxquelles sont soumis tous ces stagiaires qu'on juge de manière fort abrupte. Ils sont incapables d'initiatives, ils ne voient pas ce qu'il y a à faire, ils ne respectent pas les règles, … La litanie habituelle quand j'allais visiter un élève en stage. Aujourd'hui, c'est moi qui suis dans le rôle du néophyte et, je vous l'assure, je comprends à quel point la communication est un secteur qui demeure toujours défaillant dans les groupes humains.

J'appelle ça la « métacommunication » : toutes les attentes en filigrane dans les silences, les évidences qui n'en sont pas, les habitudes nullement conformes à des règles écrites, les procédures si anciennes, que personne ne songe, désormais, à en avertir le nouvel arrivant. L'omniscience infuse devrait faire partie du trousseau du nouveau doté d'un solide don d'ubiquité. Hélas, je ne suis pas extralucide … Alors, j'use ici de la seule compétence qui soit à ma disposition pour le leur faire comprendre.

Aveuglément leur.


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