Conversation avec mon petit doigt

par C’est Nabum
mardi 14 décembre 2021

Pourquoi lui ai-je prêté l'oreille ?

Est-ce à trop fréquenter le creux de mon oreille, qu'un jour, mon auriculaire se prit de l'étrange envie de se confier à moi. Je ne puis l'affirmer avec certitude car sur ce point, il resta muet comme une tombe tandis qu'il se montra particulièrement disert sur d'autres aspects de nos relations. Il souhaitait garder sa part de mystère, comment le lui reprocher ? Je n'allais tout de même pas lui tirer les vers du nez alors que je l'avais si souvent solliciter pour tout autre chose…

C'est à mots couverts qu'il s'exprima la première fois. L'expression de sa timidité sans doute ou la crainte que ses compagnons ne mettent les pouces. Il profita d'être dans des gants de laine fort ajourés pour m'exprimer son envie d'entrer en communication avec moi. La surprise passée et je peux vous assurer qu'elle était d'autant plus grande qu'elle venait d'un élément que je ne sollicitais guère lorsque mes autres doigts courent sur le clavier, je lui prêtai volontiers l'oreille.

Que n'avais-je pas fait là du reste. Mon auriculaire se détacha de ma main pour aller se loger dans ce pavillon que je lui offris bien malgré-moi. Ce doigt prenait tout au pied de la lettre, il me faudrait à l'avenir surveiller mon langage durant nos entretiens. Lové dans mon conduit auditif, il pensait ainsi pouvoir mettre le pied à l'étrier. Tout auriculaire qu'il était, il ne maîtrisait pas la morphologie humaine.

Ses premières confidences furent chuchotées. Je dus tendre l'oreille ce qui dans mon cas suppose que je me glisse une prothèse auditive pour amplifier ses propos. Mon autre oreille goûtait fort peu à cette plaisanterie. Je parvins cependant à maîtriser la situation jusqu'à ce que ce diablotin ne se mette à me parler avec les mains, pour enfoncer le clou.

Je ne savais plus où donner de la tête. Mon oreille libre se mit à siffler, voulant sans doute sonner la fin de la plaisanterie. Ma main droite se mit en quatre pour tenter de calmer ce jeu de vilain, sans y parvenir du reste tandis que sa collègue, ma dextre gauche, si malhabile commit quelques impairs qui me mirent la puce à l'oreille.

Il y avait manifestement collusion entre mon auriculaire et mes membres supérieurs. Je venais de mettre un autre doigt dans l'engrenage. Le drame se matérialisa par le détachement de mon index qui alla se loger dans une narine. Je l'avais à la crotte, comme on dit chez nous. Cette fois, je ne pouvais dissimuler aux yeux de mes semblables que j'étais sujet à une rébellion de mes doigts.

Profitant de mon trouble, mon auriculaire me tint des propos lestes, tenus il faut l'avouer un peu par-dessus la jambe. La chose tourna franchement à la grivoiserie jusqu'à ce que mon annulaire, honteusement privé d'anneau, ne vint s'introduire en un lieu que la décence m'interdit de nommer ici. La chose allait rentrer dans les annales de la médecine. Je n'étais plus qu’à deux doigts de la crise, le troisième m'interdisait toute éventualité de consulter la faculté.

J'ai le désir profond – si j'ose m'exprimer ainsi – de mettre ma main amputée de trois de ses éléments à l'index. Mal m'en prit car aussitôt, le susdit doigt, avec un détachement que je ne lui connaissais pas, vint se planter dans mon œil directeur. À moitié sourd et en passe d'être borgne, j'allais passer la main.

La plaisanterie avait assez duré. Je voulus mettre les pouces. Malheur, que n'avais-je pas dit là. Les deux se libérèrent de leurs places respectives, pour venir se glisser dans ma bouche. À ma droite un moignon, à ma gauche quatre doigt privés de leur pince tandis que j'avais six doigts dans le corps. Comment me sortir d'une telle situation ?

C'est mon bon pied qui trouva la solution en se posant le premier sur le parquet. Il sonna la fin de la récréation tandis que je retrouvais mes esprits. Je peux ainsi reprendre forme humaine en me gardant de ce jour de mettre mes doigts n'importe où ni d'user de ma main pour des usages inavouables. Je retins cette leçon qui fut salutaire et à l'avenir, je pris bien garde de conserver le petit doigt sur la couture du pantalon.

À contre-pied.


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