De la ligne de flottaison
par C’est Nabum
mercredi 28 septembre 2016
La fête bat son plein.
Vous avez suivi les préparatifs de cette fête improbable, de ce désir insensé de réunir des gens par le seul truchement des réseaux sociaux autour d’un voyage que beaucoup ont suivi par écrit. Orgueil, prétention, excès de personnalité virant à l’enflure ? Je ne sais. Toujours est-il que l’idée m’avait été soufflée de réunir en une soirée de remerciements et de partages, les amis qui m’avaient accompagné durant ma descente du Tacon. Georges, mon compagnon de bordée fut un soutien précieux tout autant que ma collègue d’écriture, Nadine qui tint, ce soir-là, le kiosque de nos œuvres respectives et de celles de nos invités.
Durant mon voyage, des amis et des inconnus, nous avaient reçus à bras ouverts, m’offrant le gîte, le couvert ou quelques minutes de leur attention. Je voulais leur montrer ma gratitude en les conviant à mon tour lors d’une soirée durant laquelle la rivière serait le fil conducteur. Une fête ligérienne en somme à laquelle étaient conviés ceux qui la racontent, qui la chantent ou qui la naviguent. La distance étant, à mes yeux, le principal obstacle à la réussite de ce pari fou.
Certains sont venus, de fort loin même. Ils m’ont fait ce cadeau merveilleux d’avaler les kilomètres pour partager ce moment. J’espère qu’ils ne regretteront pas ce déplacement, que le contenu de la soirée leur a permis de se distraire tout en recevant l’expression de ma plus profonde gratitude. Des amis et des proches se sont joints à eux, pour découvrir l’univers que je ne cesse de défendre : les amis conteurs qu’il convient de découvrir comme ce merveilleux conteur camerounais : Edmond, qui a nous plongés dans un monde si différent du nôtre, les chanteurs qui, dans des registres très différents, décrivent notre histoire, notre Loire et toutes ses variations.
Les fis de Galarne sont venus pour nous proposer cette truculence qui est leur marque de fabrique. Même en petit effectif, ils sont capables d’entraîner les spectateurs dans leur belle folie tout en s’accordant des pages d’émotion. Leurs chansons sont entrées dans la mémoire collective des amoureux de la Loire. Bâbord et Tribord nous invitent, quant à eux, à des ballade plus sensibles. Dan Grall est un conteur en chanson, il nous entraîne dans son univers poétique que son compère Nicolas souligne de douces mélodies à l’accordéon.
Un autre accordéoniste m’a fait le cadeau de m’accompagner lors d’une racontée. Jean-Jacques exprimant ainsi sa touche personnelle pour apporter sa pierre à cette belle soirée. Il fut encore l’accompagnateur de notre ami Jean-Pierre qui, de sa voix forte et évocatrice, nous a lu quelques poèmes de son cru. L’excentricité de ses romans faisant alors place à la sensibilité de l’amoureux de la Loire.
D’autres ont exprimé leur plaisir du partage en préparant des plats plus délicieux les uns que les autres. Le plaisir du ventre, des oreilles et des yeux. Nous étions comblés par une soirée qui se constitua d'éléments disparates, distincts, différents. C’est, à mes yeux, ce qui fit la qualité de cette soirée qui mêlait des genres et des gens différents. Mais là aussi sans doute étaient ses limites : il ne fait pas bon briser les représentations et les certitudes.
C’est sans doute pourquoi, à de rares et touchantes exceptions près, les confréries de mariniers brillèrent par leur absence. La date fut sans doute mal choisie : l’organisation en dehors des cadres habituels a pu déplaire, le bonhomme n’est peut-être pas reconnu comme étant de la troupe. Qu’importe, les absents ont eu tort. Sans aucune subvention mais avec la bienveillante participation de la ville de Sigloy, on peut défendre et promouvoir le patrimoine culturel de notre Val de Loire.
Cependant, il faut admettre que faire savoir est un écueil sur lequel je me suis cassé les dents. Le relais médiatique est nécessaire ; par forfanterie ou pour éviter la désillusion probable d’un silence hautain, je l’ai refusé : ce qui peut expliquer la désaffection des habitants de la ville-hôte. La qualité de l’auditoire remplaçant plus qu’avantageusement la quantité qui faisait quelque peu défaut.
Au lendemain de la fête, comment en faire le bilan ? Où se situe la ligne de flottaison ? Faut-il envisager le verre à moitié vide en se désolant des absences ? Ou tout au contraire, se réjouir du bonheur manifeste et visible de ceux qui partagèrent ces instants ? Mon naturel me pousserait à voir tout en noir, à ne remarquer que les rangs clairsemés. Puis des images me reviennent en mémoire, j’entends à nouveau les échos de la fête, je revois des spectateurs heureux, émus ou bien transportés par ce patchwork de propositions artistiques et je suis fier d’avoir osé ce pari.
C’est promis : il y aura d’autres soirées de la sorte. Il faut savoir provoquer l’improbable, réunir des genres qui ne font pas habituellement scène commune, briser l’indifférence des organisateurs en se prenant en charge pour exprimer une sensibilité qui n’a pas le bonheur de plaire aux marchands de spectacles. C’est là, la certitude qui m’habite après la soirée du Tacon. La fête n’a pas tourné en queue de poisson ; elle fut belle et généreuse ! Merci à tous ceux qui sont venus à mon impensable invitation.
Spectaculairement vôtre.