De toit à moi

par C’est Nabum
vendredi 7 octobre 2022

 

Le vent de l'histoire

 

Il advint qu'une femme ayant les idées dans le vent, une certaine Paulette, personne au caractère bien trempé, voulut montrer son indépendance d'esprit en coiffant sa modeste demeure d'un élément, jusqu'alors propre à la noblesse et au clergé. Si les premiers coqs firent leur apparition sur les clochers dès le IX° siècle, la girouette demeura l'emblème des privilèges éhontés de l'ancien régime jusqu'à la Révolution française.

Pourtant, en dépit du risque de voir son toit décalottée, Paulette avait placé fièrement sur sa cheminée une sculpture en fer forgée : un poing vengeur munie d'une flèche pour montrer à tous où soufflerait le vent de la révolte : le château tout proche. La femme avait fait preuve d’ingéniosité en bloquant l'axe de révolution afin que son ci-devant voisin ne puisse prétendre qu'il s'agissait là d'une girouette.

Est-ce cette menace évidente qui précipita les choses ? Nul ne le saura jamais mais toujours est-il que la belle demeure voisine, en 1789, fut privée de ce qui faisait l'orgueil d'une famille qui avait abusé de ses privilèges depuis si longtemps. La perte de cet élément décoratif fit perdre la tête à un châtelain qui percevant la tournure des événements, prit la poudre d'escampette fort opportunément.

Paulette saisit cette occasion pour libérer l'axe de rotation de sa sculpture non sans l'avoir modifiée. Le poing fut remplacé par une femme à son métier à tisser, la dame occupant ses jours avec ce noble métier. Elle fut vite imitée par ses voisins qui jusqu'alors, n'avaient eu de cesse de se découvrir au passage des nobliaux du pays.

Des laboureurs, des chevaux à la bricole, des bergers et leurs moutons ornaient désormais les toitures des fermes isolées qui avaient besoin de savoir d'où venait le vent pour prévoir le temps qu'il allait faire. Paulette avait montré la voie, les girouettes indiquaient quant à elle, l'air du temps. C'est ainsi qu'il devint aisé de savoir le métier de celui chez qui vous frappiez en levant la tête au préalable.

Le temps passa, Paulette qui avait acquis, on ne sait pas quel miracle, l'éternité constata qu'après une généralisation des girouettes dans les fermes, il y eut une longue période de désuétude pour ce bel objet. Les nouveaux occupants cessèrent de leur graisser l'axe de rotation, elles rouillèrent et devinrent des malheureux témoins d'une époque révolue. Beaucoup tombèrent de leur misérable mort, occasionnant parfois des dégâts dans la toiture.

Pour les dernières témoins de la mode girouettière, le pire allait advenir. Les pauvrettes virent surgir sur les toits de drôles de concurrents, des râteaux immobiles alors même que les propriétaires de la demeure ne disposaient pas d'un jardin. C'était fort laid et parfaitement désolant pour Paulette qui ne pouvait plus admirer ses chères girouettes, du moins celles qui avaient survécu à l'installation des antennes.

Bientôt, toutes les toitures virent fleurir ces ferrailles sans harmonie qui firent de nos villages de curieux hérissons pointant leurs piquants vers le ciel. La population dans sa presque totalité regardait à travers une petite lucarne les prévisions météorologiques. Les girouettes n'avaient plus de raison d'exister, seule celle de Paulette gardait le cap en dépit du vent mauvais.

Puis les râteaux à leur tour subirent la loi de la modernité. Le monde se rétrécissait singulièrement puisque la Planète tout entière entrait dans certaines demeures par le truchement d'une étrange bassine renversée sur le toit. L'objet plus hideux encore n'avait pas même le mérite de permettre de récupérer les eaux de pluie même s'il déversait des fadaises et des flots d'inepties dans les foyers. Paulette s'arrachait les cheveux qui lui restaient

Elle décida de partir à la recherche des girouettes qui avaient échappé à ce massacre honteux. Elle les photographia, les reproduisit, les exposa, en fit des conférences qui insufflèrent un nouveau souffle dans les esprits plus ouverts. L'envie de décorer son toit prit le relais de la volonté d'indiquer son métier puis son addiction à la télévision.

De magnifiques ouvres d'art fleurirent ainsi au gré de l'imagination d'artisans qui mériteraient le qualificatif d'artistes. Les girouettes avaient à nouveau le vent en poupe, elles reprenaient de la hauteur, tournait à qui mieux mieux pour se montrer sur leurs meilleurs jours. Elles devaient en profiter car un nouveau vent mauvais soufflant de l'Est apporta une nouvelle révolution qu'on prétendit énergétique.

Les paraboles avaient vécu, elles devaient laisser place nette aux panneaux solaires tandis que les cheminées songeaient à se couvrir de petites éoliennes domestiques afin de pourvoir aux besoins du foyer sans passer par l'hydre EDF. La girouette dut baisser pavillon. Les cheminées du reste ne servaient plus à rien, il fallait aplanir les toitures pour en faire des sources d'énergie.

Paulette s'en plaignit amèrement, on lui fit alors remarquer que pour connaître le sens du vent il suffisait de tourner la tête pour admirer les gigantesques moulins à trois pâles ou bien alors regarder dans quelle direction partaient les immenses panaches de fumée qui sortaient des gueules des monstres en bord de rivière.

Le vent était porteur de lourdes menaces. Les pluies venaient toujours de l'ouest et la peur de l'est. Point n'était besoin de girouettes pour le deviner. Paulette préféra se consacrer à nouveau à ses expositions en attendant que les humains retrouvent si c'est encore possible, un peu de sagesse.

À contre-vent


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