Dos d’âne ou nid de poule
par C’est Nabum
lundi 30 avril 2018
Le froid, le gel, les travaux, les intempéries, l'incurie des uns, l'absence des autres, la disparation des turcies, la faillite de l'état, la liste est longue qui peut expliquer la lente et inexorable transformation de nos rues en basse-cour et même, quand elles viennent d’être refaites, en montagnes russes..
Je vous écris d'une ville sinistrée, d'un pays où voyager à deux roues relève maintenant de la folie, du jeu de la roulette-russe et de l'exercice d'équilibriste. Ici une ornière, là une crevasse, plus loin un rainurage, les chausse-trappes se succèdent avec une régularité qui permet de rester concentré sur le sujet. Et si par bonheur, la chaussée vient d’être rénovée, elle se hérisse de tant de monticules que la platitude est désormais une exception.
Les amortisseurs gémissent, le dos se plaint, les pneus remplissent sans faillir une mission de plus en plus délicate. Ça glisse sur les lignes blanches et les bandes vertes. Ça dérape allègrement sur des pavés qui ne supportent pas la pluie, choisis pour leur esthétique et pas du tout en terme de sécurité. Sur votre engin, le cul part à hue quand l'avant préfère le dia. Prudence, la tenue de route est aléatoire, l'équilibre instable. Mais ce n'est que le préambule du parcours funambule !
Les travaux pointent leurs engins, ils se multiplient avant la prochaine échéance électorale. Il faut donner du travail aux amis, financer la prochaine campagne électorale, faire démonstration de l'investissement sur l'avenir, assurer la rénovation de la cité. On creuse à grande échelle, on défonce à tout venant, on perce, on rebouche avant de recreuser sans la moindre organisation. Le chantier est général, le génie n'est guère civil et la route derrière leur passage est jonchée de terre, de sable, de poussière. Gare à la première pluie !
Et quand on échappe à la folie globale, les divers services se paient le plaisir de montrer qu'ils relient les hommes. Un câble à passer, un tuyau à changer, une gaine trop vilaine, un réseau à défauts. On pioche au hasard, on fait de la route un gruyère indigeste. Chacun son petit chantier, son équipe mobile qui laisse derrière elle un paysage désolant, une chaussée déchaussée qui sent mauvais des égouts.
L'outrage du temps fait également son œuvre. Les bouches débouchent de nulle part, les grilles s'élèvent, les regards s'effarent, les plots s'affaissent, les bornes s'effondrent. La trajectoire du motard ou du cycliste tient du slalom géant. Il faut éviter le piège, le prévoir, l'anticiper, l'œil toujours aux aguets tandis que l’automobiliste est désormais contraint de piler devant chaque ralentisseur qui tient plus de l’arrêt obligatoire s’il ne veut pas racler son châssis.
Les pièges demeurent maintenant des indicateurs intemporels. Plus aucun agent municipal ne vient colmater, boucher, balayer, rectifier les erreurs des hordes « terrassières » qui s’invitent pour de longs mois avant de laisser un décor de désolation. Il n'y a pas de rentabilité à pratiquer les petits travaux de maintenance. Les serviteurs du quotidien ne travaillaient pas pour les grosses boîtes ! Les cantonniers de jadis œuvraient au jour le jour pour ces petits riens qui deviennent d'énormes trous après le passage des chevaliers de la pelle mécanique.
Les nids de poule picorent nos avenues, mangent les artères, détruisent les rues secondaires. La sécurité routière bat de l'aile, froisse le pot d'échappement, échappe à toute fluidité du trafic. L'usager reste le bec dans l'eau, les flaques se multiplient avec ces monticules savamment placés pour empêcher l’évacuation des eaux pluviales. Il est grand temps de voler dans les plumes de nos responsables mais chacun se renvoie l'œuf, on ne fait pas d'omelettes sans les casser, eux !
Les dos d'ânes se multiplient. Ils ont suppléé le gendarme couché, mauvais exemple linguistique qui ternissait une noble profession, bien plus occupée désormais à piéger l’automobiliste dans les rares portions roulantes où l'on lui impose de rouler à moins de 30 km/h. On élève plus facilement la chaussée que le débat dans ce pays. Il faut viser pour réussir à passer entre deux monticules aux arêtes maléfiques. Ce sont sans doutes les oreilles de l’âne qui dépassent ainsi, proéminentes et menaçantes à moins que ces monticules soient dus à l’incurie des ingénieurs en génie si peu urbain ? C'est l'usager qui brait, le voisin qui se plaint des bruits incessants et le carrossier du coin qui se frotte les mains.
Éviter cependant de tomber. Les trottoirs sont devenus des pièges, ils pointent à tout venant leurs merveilleux et gracieux potelets, nouvelle arnaque financière pour les caisses municipales qui a remplacé les ronds points arrivés à saturation. Ils transforment les trottoirs en forêt métallique. Il y a sans doute quelques jolis dessous de table pour justifier cette éclosion absurde.
Les travaux dans ma rue sont officiellement terminés. Les finitions prendront sans doute autant de temps que le gros œuvre, il ne faut pas désespérer. Nous avons désormais 19 dos d’âne pour passer notre envie de rouler à la vitesse autorisée. Circuler est devenu impossible, ça tombe bien, se garer en centre ville l’est tout autant et les commerçants y sont joyeusement sacrifiés. Les centres commerciaux périphériques continuent de fleurir ! Décidément, nos élus sont des visionnaires, c’est sans doute pour ça qu’ils construisent un téléphérique afin de simplement traverser une route nationale. Un nouveau caprice en somme qui leur permettra de prendre un peu de hauteur… Ils en ont tant besoin.
Exaspérément vôtre.