Du vent dans la voile

par C’est Nabum
mercredi 17 avril 2013

Et maintenant ?

Jusqu'au bout de nos rêves …

Le bonheur, c'est simple comme un rêve que l'on finit par accomplir. Non pas un souhait inaccessible, un désir de gloire ou de richesse. Non, un tout petit rien, un fait sans importance mais qui marque une limite à franchir, un obstacle à surmonter, un défi à relever. Chacun peut, s'il veut faire de sa vie un terrain de jeu et de volupté, s'accorder ainsi un Graal, qui, pour modeste qu'il soit, n'en demeure pas moins une source de frissons incomparable.

Cessons de croire que nos vies ne méritent pas de s'offrir leurs moments de folie. Point n'est besoin d'être célèbre, de convoquer les télévisions du monde entier, de faire la une des journaux, pour, un jour, se dire : « Ça y est, j'ai réalisé mon rêve, j'ai décroché ma lune, j'ai terrassé le dragon ! ». Chacun peut s'octroyer ce moment de jubilation intense, ce plaisir ineffable de la victoire sur son impossible.

Notre Himalaya à nous, mon capitaine et moi, n'avait rien d'extraordinaire. Le raconter ici, c'est prendre le risque de la moquerie et des rires. Mais qu'importe, c'est justement parce qu'il n'a rien d'exceptionnel, qu'il est banal et somme toute dérisoire, que je prends le risque de vous en faire part. Si je parviens à partager ce bonheur, il n'en sera que plus grand encore.

Vous avez peut-être suivi nos aventures ligériennes, ces modestes ronds dans l'eau sur notre Loire orléanaise. Enfants qui n'ont jamais voulu grandir, nous n'avons de cesse, sur nos bateaux de bois, de nous lancer des défis, de chercher des passages impossibles, de nous prendre pour les héritiers de nos mariniers d'autrefois.

Nous ne trompons personne et surtout pas nous-mêmes. Nous nous amusons, nous jouons aux pirates et aux flibustiers, aux bourlingueurs et aux grands skippers des courses transatlantiques. Nous ne sommes que des marins d'eau douce, des naïfs ou des rêveurs qui ne font de mal à personne. C'est bien ce qui nous sauve du ridicule !

Notre Cap Horn à nous est à deux pas de la maison. Il n'a rien de terrible ni même de dangereux. Combien de nos amis ou de nos voisins peuvent imaginer que les deux ponts qui se dressent en amont de la ville sont depuis longtemps notre idée fixe, le sujet de toutes nos conversations. Je vous l'ai dit, nous ne sommes que de gentils fous inoffensifs !

Deux ponts donc, qui sont l'un à côté de l'autre, provoquent remous et grand courant. Deux ponts qui sont devenus une idée fixe, une question de principe, un but ultime. Nous voulons les franchir à la remonte par la seule force du vent. Ce qui pour nous relève de l'exploit impossible était autrefois pratique quotidienne pour les mariniers d'alors. C'est ce qui nous désole, nous pousse toujours plus à admirer ces hommes qui allaient sur notre rivière avec des bateaux lourdement chargés et mobilise nos énergies.

Vous n'avez rien d'autre à faire nous diront les gens importants et sérieux ? Sans doute ont-ils raison, eux qui ne détestent rien tant que les gestes gratuits ! Vous n'avez pas trouvé quelque chose de plus utile, nous suggèrent les gens pragmatiques et industrieux ? Il faut admettre que notre quête est des plus stériles et qu'elle ne contribuera pas au redressement de l'économie nationale. Mais est-ce de notre ressort ?

Nous nous contentions de cette si modeste ambition. Nous guettions le vent, sa force, sa direction ; la rivière, sa hauteur et son débit. Notre bateau n'a ni l'envergure ni la voilure des monstres d'antan. Il lui fallait une conjonction d'éléments favorables pour réussir avec toutes nos insuffisances et nos maladresses. Nous étions patients et tous les jours nous attendions le moment propice.

Et ce jour est arrivé. Le vent soufflait de l'Ouest, la Loire était grosse, elle nous laissait pourtant juste la place de passer sous les ponts avec notre mât fièrement dressé vers le ciel. Nous nous sommes rêvés mariniers d'autrefois, nous étions fous de joie, heureux comme des gosses. Nous avions les yeux qui pétillaient, le sourire aux lèvres et une belle paix intérieure. Nous en avions oublié nos soucis, nos difficultés personnelles, l'actualité ou bien les malheurs de ce monde.

Il n'y avait que nous, le bateau et sa voile gonflée, le vent et la rivière domptée. Bonheur illusoire certes, mais dieu que ce fut agréable. L'espace de cet instant à jamais nôtre, nous étions les maîtres du monde. Désormais, il nous faudra chercher un nouveau combat. Le succès sonne le glas de ce désir et, pour toujours aller de l'avant, nous devons nous construire une nouvelle espérance.

Heureusement, il y a sur la Loire tant d'obstacles à franchir que nous ne sommes pas en peine de trouver notre nouveau rêve. Le pont Royal et ses remous, son dévers de plus d'un mètre, ses tourbillons et ses pièges, ses écueils sournois et la force décuplée des eaux dans ce goulet d'étranglement nous tend ses bras. Un jour, peut-être, nous réussirons ce qui nous est pour l'heure tout à fait impossible ! C'est ainsi que l'on reste enfant …

Ligériennement vôtre.

 

Photographies : Alain Pavard-Doisneau

 

Un petit tour ?


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