Eric Woerth, la retraite des bonnes sœurs et les courses de dromadaires
par morice
samedi 2 octobre 2010
Ça commence comme ça : une bonne sœur à la retraite, sœur B, un jour de 2008, se pointe dans les services sociaux d’Angers en se plaignant de la modicité de ses revenus. Ne se sentant pas entendue, elle part en procès contre sa congrégation religieuse, au Tribunal de Grande Instance local, en se réclamant d’une jurisprudence précédente, faite au même endroit quelque temps auparavant, au nom d’un obscur « enrichissement sans cause. » Emoi chez l’évêché, qui envoie fissa une cohorte de conseillers, car la religieuse s’est munie entretemps elle aussi d’un avocat... qui présente effectivement un argument sorti des cieux, ou presque, car selon lui, en effet « l’absence de cause est liée à l’absence de charge effective lorsque Madame B. n’est plus engagée dans ses liens religieux. Cette situation est constitutive de l’appauvrissement de Mme B., qui, du fait de sa qualité de religieuse, n’a pas été affiliée à un régime obligatoire de protection vieillesse pour toute la durée de sa vie religieuse. » L’argument est habituellement utilisé lors du divorce, paraît-il, mais comme la dame a été mariée avec Dieu... En résumé, la mouise de la bonne sœur peut donc être imputée au...clergé, qui, visiblement possède quelques richesses et qui n’a rien cotisé pour elle sa vie durant... Eric Woerth, ce bon catholique, alors en plein arrangement fiscal de la succession César, n’avait pas pensé à celle-là, je parie... la fameuse « Caisse des Cultes » (ou Cavimac) peut-elle en effet verser seule une retraite décente à une bonne sœur ? Ou est-ce que le fonds de solidarité pour personnes âgées, par exemple, doit jouer en plus ??? Faut-il s’en remettre à Dieu, ou à ces saints ? Ou à Saint Mathieu, patron des banquiers ?
Une bonne sœur qui a donné son âme à Dieu (gratuitement !) et qui réclame un manque à gagner, c’est trop drôle. Surtout qu’en face, de l’argent, il y en a. Et pour ce qui est des retraites, à vrai dire, l’Eglise à visiblement... triché. Mais cela, notre Woerth l’a oublié, comme il a oublié les courriers qu’il a signé un jour, ou la rombière qu’il croisait un autre. En 1977, en effet, alors que l’Assemblée Nationale débattait de la retraite du clergé et des congrégations, nous rappelle l’humoristique "Forum des amis", un intense lobbying religieux avait décroché in extremis une retraite minimale aux responsables de l’Eglise, la plus ridicule de tous les régimes de retraite, car ces mêmes responsables, pour faire passer l’hostie, s’étaient engagés à l’augmenter progressivement : croix de bois, croix de fer, c’était promis, ça augmenterait. Ma main sur la tête de la Vierge !
Mouais. 33 ans après (l’âge du Christ à sa mort !), on cherche toujours le coup de pouce divin. Aucune cotisation n’a été augmentée, et les retraites idem, un curé retraité partant après 24 années de sacerdoce (c’est le nom !) touche ses 279 petits euros mensuels . Retraité AMC (pour "Ancien Ministre du Culte"), c’est pas la joie (divine ?). De là à descendre dans la rue pour toucher le SMIC demandé, ça n’est pas encore gagné, mais bon : le curé à côté du Cégétiste qui hurle l’Internationale (*) dans son mégaphone, ça ne le fait pas trop... Ça aurait pu, pourtant, se faire autrement. Car malheureusement pour elle, l’Eglise, entretemps, avait pensé avoir trouvé une autre parade à ses malheurs : elle s’était mise à boursicoter, comme tout être humain aujourd’hui paraît-il ! Une responsable du culte, Soeur Nicole Reille, bombardée rectificatrice du déficit annoncé, s’était associée alors à un fonds de placements, la société de gestion Meeschaert... et on se doute (hélas) de la suite : le denier du culte indexé sur Boursama ça ne l’a pas fait davantage. Pourtant, la sœur avait mis du sien et toute sa foi... dans les subprimes, ou presque. "Historiquement, c’est en effet à une religieuse, Soeur Nicole Reille, que l’on doit le premier fonds éthique français. S’inquiétant au début des années 1980 de la retraite de ses coreligionnaires, Soeur Nicole Reille, expert comptable de formation, s’interroge sur les possibilités d’un placement long terme respectueux de principes moraux et sociaux. La réponse prend la forme du fonds commun de placements Nouvelle Stratégie 50, né en 1983 grâce à la société de gestion Meeschaert. À l’époque, une vingtaine de critères sont définis, parmi lesquels certains concernent les salariés, d’autres l’environnement. Sont exclues les activités nuisibles, comme l’alcool, le tabac, ou la pornographie." On voit mal en effet l’évêché nourrir ses troupes avec les actions du Minitel Rose revu par internet ou s’enthousiasmer pour les dividendes du plan com’ de Marc Dorcel. Il est vrai aussi comme dit Libé avec un certain sens du résumé que ", les Dorcel père et fils sont en revanche plus amères sur l’évolution « des gouvernances » en matière de cul". Des actions chez Perfecto, plutôt, alors, qui sait, grâce à Guy Gilbert ? Va donc pour les placements "éthiques" ! C’est "l’Equipée sauvage", version guichet bancaire !
Il y avait de quoi faire en effet, car la caisse des curés et des bonnes sœurs à un défaut énorme : elle est trop récente ! "À l’appui de leurs demandes, les plaignants mettent en avant le montant moyen de leur retraite : « 342,92 € brut par mois en 2006 pour une carrière complète, soit la plus faible de France ! », déplore l’APRC. En pratique, ces retraités perçoivent toutefois l’allocation de solidarité pour les personnes âgées (628,10 € par mois), complétée le cas échéant par « l’allocation complémentaire aux partis » (ceux qui ont quitté l’état clérical ou religieux), versée par la Cavimac et pouvant atteindre 165 € par mois (....) Pour Jean Dessertaine, la faiblesse actuelle des pensions a une explication simple : « La Cavimac est une caisse jeune. Les prêtres, religieux et religieuses qui arrivent aujourd’hui à l’âge de la retraite ont effectué l’essentiel de leur engagement avant 1978, lorsqu’il n’existait pas encore de régime d’assurance-vieillesse, ou seulement quelques initiatives éparses. Par conséquent, un trimestre effectué avant 1979 ne rapporte que 2,18 €. »
En fait, c’est plutôt l’enfer que le paradis qui attendait Sœur Reille au coin du krach boursier : résultat, comme en France la retraite c’est aussi une affaire de compensations, entre les caisses elles-mêmes, les autres régimes de Sécurité Sociale, dont le vôtre, par exemple doivent aujourd’hui compenser pour payer les retraites des membre du clergé ! "L’équilibre financier de la Cavimac ne peut donc être assuré que grâce à la compensation d’autres caisses du régime général." Ce Satan de Madoff ! Et comme chez eux on ne peut pas dire que la jeune génération va renflouer le système... ça s’aggrave de jour en jour. Eric Woerth y songe-t-il quand il se rend à l’église tous les dimanches ? J’en doute fort. Un écueil attendait en effet les procès en cours, qui demandaient par exemple l’intégration des années de séminaristes pour les prêtres : " Les cotisations sociales s’élèvent à environ 520 € par mois pour les prêtres (en raison de la retraite complémentaire) et à 400 € pour les religieux et religieuses. Si les diocèses devaient cotiser rétroactivement pour chaque séminariste entré après 1978, il leur en coûterait près de 40 000 € pour six ans de séminaire…" Faut les trouver...
Un deuxième scandale se cachait derrière l’opération du fonds qui a avait été labellisé "Ethica". Les curés et les bonnes sœurs ont des principes, c’est connu. On imagine un peu lesquels. A part que dans la gestion de leur fonds de pension, ils y ont glissé une bonne dose. Résultat, un joli scandale qui éclate quelques mois après chez Allianz Global Investors, devenu responsable de la gestion des diocèses, quand son patron, Charles-Antoine Smet, qui "cultive la convergence des stratégies actions" aujourd’hui, chez Swan, révèle à la presse le côté "éthique", justement, de la chose. Poussé en effet par un journaliste du Monde qui lui demande avec quoi ses fonds travailllent, il se sent obligé de répondre "Concrètement, cela signifie que nous n’achetons pas d’actions de laboratoires pharmaceutiques qui vendraient la pilule abortive ". - " Et les préservatifs ?", interroge, perfide, le journaliste du Monde. "On ne va pas jusqu’à parler de contraception" répond le gérant"... Les voies du seigneur sont aussi au fond de la dentelle, peut-on en conclure. Pendant ce temps, rappelons-le, le pape fourbissait son tour d’Afrique en menaçant à l’avance d’excommunication ou des foudres divines celui qui aurait recours au préservatif...
Les fonds "ISR" (pour "Investissements Socialement Responsables") de l’Eglise ont donc de ces détours intéressants, que n’a peut-être pas vu ou voulu voir notre passionné de cheval de Chantilly... et de comptes Clearstream. L’eau au fond de son bénitier est trouble, tout simplement. Le système, vu de l’extérieur est pourtant beau comme un transept : il se définit comme "consistant à exclure certains secteurs (tabac, armement, nucléaire) ou certaines sociétés sur des critères "éthiques", qu’ils soient moraux, environnementaux ou liés à leurs pratiques (travail des enfants, licenciements abusifs, ...).." Le 21 septembre dernier encore, le ministère du développement durable nous proposait encore de l’essayer, pourtant... "Rares sont les épargnants qui connaissent l’existence même des fonds ISR et tout aussi rares sont les chargés de clientèle formés à les commercialiser" nous dit-on : ouais, sauf... l’Eglise ! L’Eglise, qui, c’est bien connu, guide le peuple.... Et attention, à ne pas se tromper de Woerth ! Car c’est bien de celui dont je parle ; le bon chrétien, c’est bien celui qui inaugure des maisons de retraite ! Une maison de retraite fondée ; tiens, quel hasard, par... "une association réunissant le conseil œcuménique des églises, l’église orthodoxe russe en France, la CIMADE (association œcuménique d’aide aux étrangers) et l’Entraide protestante Suisse " apprend-t-on. Fichtre, ça le poursuit dites-donc !
Ah, vous allez me dire on ne peut pas penser à tout. C’est vrai, mais autant faire attention alors : au coin de l’église pointe déjà la mosquée, avec la finance islamique et ses "fonds de placement Shari’a compliant" : ne rigolez pas, ça existe déjà. Ils "semblent être promis à un radieux avenir" nous disent les "spécialistes". Faudra demander conseil au Cheikh Mohammed Al Maktoum, un passionné de courses de chevaux, tiens (d’Airbus A380 et de bateaux). Celui-là, à Deauville, quand il passe, les Yearlings se tiennent à carreau de peur de se faire expédier en avion cargo à Dubaï. En Australie, il a tout raflé. Sa femme Haya de Jordanie, préside la fédération équestre internationale (FEI) et ça tombe plutôt bien car elle vient justement d’attribuer l’organisation des jeux équestres mondiaux de 2014 à... la Basse-Normandie... une terre (électorale) de casinos (voir notre épisode précédent sur le personnage). En Normandie où on croise aussi Hubert Monzat, le directeur général de France Galop - ou a longtemps siégé Florence Woerth (...)."Sous-préfet de Senlis, entre 1999 et 2002, Hubert Monzat avait mobilisé les financements du prince Karim Aga Khan IV, propriétaire d’une prestigieuse écurie de chevaux, pour la rénovation de l’hippodrome et du château de Chantilly, ville dont Eric Woerth est le maire depuis 1995. Ensuite, en juin 2007, Hubert Monzat a été recruté par Eric Woerth au ministère du Budget, avec le titre de conseiller spécial, et la mission de préparer la loi sur les jeux d’argent et les paris sportifs en ligne"
Demander à lui aussi, tiens, ou plutôt au collègue de Mohammed Al Maktoum, le prince Salman Bin Abdel Aziz Al Saud, venu faire le 6 juin dernier sur l’hippodrome de La Roche Posay où pouvaient se voir des toques beiges et blanches... des courses de chameaux (des dromadaires) ! Ici en version originale (doublée, la maison ne recule devant aucun sacrifice médiatique !). La Roche Posay, La Roche Posay ??? Mais ça me dit quelque chose cet endroit ! Ah, mais c’est bien sûr : "L’Oréal. Fondée en 1907 par Eugène Schueller, père de Liliane, la firme s’enorgueillit d’un portefeuille de marques qui donne la mesure de sa puissance commerciale : Garnier, Maybelline, Kérastase, Vichy, La Roche Posay, Yves Saint Laurent, Lancôme…" La Roche Posay, et sa gamme de produits "Respectissime" ! D’ici à ce qu’à Chantilly aussi on nous fasse des courses de dromadaires... Paris valait bien une messe, c’est cela, hein... "Respectissime", y’a pas !
Pendant ce temps, notre bonne sœur qui a perdu le sourire (car ayant été déboutée le 10 novembre 2008) est devenue pauvre au point de ne pas pouvoir s’offrir une glace à Chantilly même - et pas à la Chantilly obligatoirement-, au contraire de ce si bon ministre (photographié en train de le faire) qui va à l’église tous les dimanches ... récite le soir venu ses commandements, par habitude sans doute : "Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain ; tu ne convoiteras point la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni aucune chose qui appartienne à ton prochain". Le dromadaire, ou les chapeaux de Florence Woerth, peut-être, qui sait ? Fallait pas épouser le bon Dieu !
(*) extrait au mégaphone :
Il n’est pas de sauveurs suprêmes :
Ni Dieu, ni César, ni tribun,
Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes !
Décrétons le salut commun !
Pour que le voleur rende gorge,
Pour tirer l’esprit du cachot,
Soufflons nous-mêmes notre forge,
Battons le fer quand il est chaud !
Ni Dieu, ni César, ni tribun,
Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes !
Décrétons le salut commun !
Pour que le voleur rende gorge,
Pour tirer l’esprit du cachot,
Soufflons nous-mêmes notre forge,
Battons le fer quand il est chaud !