Georges est rentré

par C’est Nabum
samedi 4 juin 2016

La fin du parcours.

Georges ne s’est jamais vraiment remis de son chavirement près de l'écluse des Lorrains. Le physique d’abord, le mental ensuite, ont subi de plein fouet ce traumatisme. Pourtant, il a tenu à me suivre en dépit d’une santé de plus en plus défaillante , assurant ainsi un précieux soutien logistique dont je lui serai éternellement reconnaissant. Il se montra compagnon de voyage précieux et discret, disponible et prévenant, acceptant les contraintes qu’imposent la nature même de mon voyage sur la Loire, tout autant que sur la toile.

Mais cette fois, il a craqué. La nouvelle de trop est venue saper le peu d’énergie qu'il lui restait. Sa chatte a disparu de son appartement. Quand il a appris la nouvelle, je l’ai vu se décomposer ; déstabilisé et en grande réflexion, il était partagé entre sa loyauté à mon égard et son immense inquiétude. Je n’ai pas hésité un seul instant à lui laisser la liberté de rentrer ; je sais l’importance pour lui qui vit seul, de sa relation à sa petite compagne.

Nous avons donc chargé le canoë dans sa camionnette, marquant ainsi de manière définitive la fin du périple. Il a pris le chemin du retour pour rentrer dans un département sinistré. J’apprends des nouvelles qui ne me surprennent pas, hélas ! Ayant beaucoup travaillé sur les crues historiques, je sais les dégâts considérables que peut faire l’eau, ce serpent mystérieux que rien n’arrête, qui s’insinue partout et laisse derrière lui destruction et désolation.

Le savoir livresque est une chose, le vivre en est une autre. La réalité apporte son cortège de drames individuels, de pertes irréparables, certes, -fort heureusement uniquement matérielles pour l’heure- mais si douloureuses qu’il est bien difficile de s’en remettre, d’autant plus qu’on nous a bercés de l’illusion que cela n’arriverait plus jamais. La nature se moque bien de nos immenses prétentions technologiques et politiques.

Je suis de tout cœur avec les naufragés, ceux qui ont vu se noyer leurs biens. Je ne peux que leur apporter ma commisération et faire preuve d’empathie. Je continuerai de raconter la Loire, d’évoquer ses beautés et ses pièges, ses drames et ses heures de gloire. C’est ce que j’ai fait hier soir devant les membres de l’Union de la Boule de Fort, alors que chacun ici évoquait la montée des eaux. La cote annoncée ici est à 5 mètres ; les eaux de La Creuse, du Beuvron, de la Vienne étant en avance sur ce qui se déroule à Orléans.

Partout sur la rivière, les mêmes inquiétudes, les mêmes soucis, les mêmes angoisses. L’histoire se répète ; elle aurait dû nous laisser mémoire des épisodes précédents mais l’homme est ainsi fait que les traces rouges et les dates qui les accompagnent sur nos murs n’étaient devenues que des éléments touristiques sans signification réelle. Nous n’échappons pas à la réalité d’une rivière aux mille et une facettes, aux colères et aux langueurs.

Nous n’avons fait qu’aggraver les choses en bétonnant à tout-va, en emprisonnant les ruisseaux, en n’entretenant plus les berges et les îles. Les réalités économiques gouvernent cette société qui est incapable d’anticiper, de prévoir et simplement de maintenir en état ce que les anciens lui avaient confié. La logique de la rentabilité a pris le dessus et les dégâts qu’il faudra bien réparer entrent alors dans d’autres colonnes comptables. C’est absurde, imbécile et impardonnable mais cela ne changera pas tant que l’on ne changera pas de modèle économique.

Je continue mon chemin en solitaire, allant encore raconter mes histoires de Loire, ses inondations passées, sa belle et grande histoire, ses légendes et ses hommes. J’espère ainsi que le message passera, que les gens qui m’écouteront comprendront que la dame Liger exige déférence et respect, considération et efforts tout comme tous ces cours d’eau qui l'alimentent et les canaux qui convergent vers elle.

Le folklore qui s’est greffé autour d’elle n’a de sens que s’il s’accompagne d’une véritable et intime connaissance de son histoire et des risques qu’elle fait peser sur ses riverains. Que les mariniers de magazine, coiffés de leurs chapeaux d'opérette dans les guinguettes illusoires, prennent en compte ce passé, s’accordent parfois quelques instants de réflexion et sachent, à leur tour, passer ce message de sagesse. Je ne doute pas pourtant que les flots passés, les larmes séchées, la vie reprendra ses droits avec cette incroyable capacité d’amnésie collective qui caractérise notre société sans mémoire.

Nous sommes bien loin du voyage du Tacon et pourtant, jamais depuis le départ, je n’ai cessé de dire cela, de raconter tous les aspects de la rivière. Certains ont écouté le Bonimenteur, beaucoup s’en sont gaussés. La Loire mérite une pédagogie ; il y a bien des manières de faire celle-ci, loin des flonflons d’une marine d'opérette.

Avertissement vôtre.


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