Histoire de coquille

par C’est Nabum
vendredi 30 octobre 2015

L'Hermite …

Ne suis-je qu'une coquille vide ? La question mérite d'être posée puisque je me prénomme Bernard. Je ne suis peut-être qu'un usurpateur d'identité, un imposteur du verbe, un manipulateur des mots, un falsificateur des sentiments, un prestidigitateur de la fiction et des mauvais contes, venu s'installer dans quelques coquilles vides laissées en chemin par des internautes négligents.

Il est prudent de se méfier de celui qui bave à longueur de temps sur l'actualité, l'histoire, ses congénères, glisse sur le sens des mots, dérape dans les histoires sordides. Si le crapaud est à l'abri de mes excrétions salivaires, mes semblables peuvent s'indigner d'une trace aussi visqueuse que désagréable. Me suivre à la trace cependant relève de la folie tant je me disperse, je m'étale à longueur de colonnes profitant des grandes antennes de la toile.

On ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre. Le pauvre écriveur que je suis doit se contenter de la préparation qui accommode les « carcalaudes », « cagouilles » et autres termes vernaculaires pour désigner petits gris ou gros bourgognes qui seront préparés en fricassée ou bien en cassolettes. Une pincée de sel, beaucoup de poivre, de l'ail à profusion, du persil haché menu, le tour est joué et les mots ne manquent alors pas de piment. Le lecteur hérite nécessairement d'une haleine chargée et d'une digestion délicate de mes roboratifs brouets pseudo littéraires.

Sortant de ma coquille, je n'hésite pas à me rendre à la fête du « luma » ; la nuit tous les gastéropodes sont gris même quand les drapeaux sont rouges. Il est vrai qu'elle a bon dos cette coquille qui justifie sans vergogne la faute d'orthographe ou la confusion de sens. Les doigts coulissent sur le clavier visqueux ; l'erreur devient simple méprise derrière cette désignation fallacieuse. L'Hermite se réfugie dans sa tour d'ivoire, il se drape dans sa bonne conscience de pauvre larve rampante.

Les malheureuses victimes de ses piques, les innocents mis en cause se dressent sur leurs ergots, relèvent la crête et se prennent de bec avec le modeste animal rampant. Goûtant fort ce mets gluant, ils voudraient n'en faire qu'une bouchée mais se cassent le bec et les dents sur sa redoutable carapace. Il ne faut pas se fier aux apparences : l'armure est solide même si les mots sont fragiles et la chair faible.

L'animal n'est pas aussi hermaphrodite qu'on le prétend. C'est là que le bât blesse. Il n'est qu'un pied en mouvement, un phallus éruptif dont les antennes ne sont que l'avant-garde d'une pulsion maladive, d'un désir permanent de séduire par le texte. Cet hermite-là, obsédé textuel revendiqué, n'a jamais fait vœu de chasteté : il porte sur son dos la bulle qui abritera ses amours littéraires.

Comment prétendre alors que ses propos n'ont ni queue ni tête ? Sa tête est couronnée de deux cornes prémonitoires et son corps se confond avec cette queue qu'il finit par mordre à longueur de temps. Il lui faut éviter les dérapages, garder la tête froide et la sortir de l'eau. Prenant garde à ce que ce billet ne s'achève pas en queue de poisson, l'escargot change de calibre et accélère le mouvement, reste le pied sur terre et la tête dans les étoiles.

L'animal finit pas se retourner, aperçoit ses petits qu'il a semés sur la route. Lui qui a écrit sur le pied, parfois sur le pouce, il a poussé la confusion jusqu'à mettre la main à la pâte pour en faire de succulentes coquillettes. Il doit avoir la dent dure pour les manger « al dente » : à trop faire mijoter ceux qu'ils passent au gril, il risque de se ramollir.

Il serait prudent de ne pas faire de salades. L'escargot se rétracte, la façade se lézarde, le masque tombe et il se retrouve nu comme un ver. La poésie lui tend les bras, il n'est pourtant capable que de vers de mirliton : mais il a enfin trouvé une rime riche : marmiton. C'est sans doute grâce à ce mot-là que finira son parcours : dans une cuisine où il aime tant à branler du chef devant le maître queux. Perdre la tête et plonger à corps perdu dans la marmite : c'est ainsi que s'achèvera cette étrange divagation.

Gastéropodement mien.


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