Il met les bouchées doubles !
par C’est Nabum
mercredi 30 septembre 2015
La nouvelle référence.
Les hommes devaient avoir une Rolex avant cinquante ans au risque de déconsidérer leur existence. Les femmes désormais, au tournant de cet âge respectable, disposent enfin de leur référence incontournable, le signe de l'épanouissement et du bonheur d'être une ménagère accomplie et néanmoins libérée : le célèbre robot ménager Thermomixte.
Bien sûr, tout ceci suppose que nous évoluons encore dans un environnement qui se refuse à sortir du cadre ancestral de la répartition des tâches. La révolution de la théorie du genre n'a pas encore réduit en poussière les représentations traditionnelles, c'est à dire archaïques ; c'est dans ce contexte que s'inscrit ce billet, qui, je l'espère, sera totalement obsolète dans les prochaines années …
Essayez donc lors d'un repas amical de mettre sur la table cirée, ou bien la nappe brodée de la grand-mère, ce sujet de conversation. Si vous n'êtes pas adepte de la douce ironie, hasardez-vous à demander si ce délicieux plat n'aurait pas été concocté grâce au miracle de l'appareil dont rêvent toutes les cuisinières modernes ! La question flattera immanquablement celle qui, il fallait s'en douter, avait usé de ce subterfuge technologique pour confectionner le menu.
Pour peu que vous soyez nombreux autour de la table, le sujet va se nourrir de lui-même : chacune, et même chacun, apportant alors son grain de sel et son expérience personnelle pour vanter les innombrables mérites de ce maître queux de substitution qui trône dans la cuisine. Vous découvrirez alors les vertus incommensurables de cette merveille d'électronique, capable de tout, y compris de faire la cuisine à votre place …
Vous en resterez comme deux ronds de flan en apprenant, bouche bée, que l'appareil est connecté à une clef USB, qu'il peut même, par le truchement d'une installation Wifi, commander seul vos achats nécessaires à la confection d'un menu, choisi dans une grande variété de suggestions, fournies lors de l'achat de ce supplétif des travaux culinaires.
Vous découvrirez alors le fossé qui ne cesse de se creuser entre les adeptes des robots des générations précédentes, plus traditionnels et, de manière corollaire, plus simples d'emploi et ceux de la nouvelle vague, que l'on peut qualifier de haute technologie. Les unes réclamant la maîtrise sur l'appareil quand les autres se plaisent à lui laisser la direction absolue de leur cuisine.
Ne vous insinuez pas dans ce débat idéologique ; contentez-vous de compter les points de part et d'autre. N'ayez pas l'outrecuidance de mettre la puce à l'oreille de celles qui deviennent les sujets de leur robot : elles le prendraient fort mal ; évitez tout autant de vouloir faire l'apologie des robots traditionnels : ceux qui se contentent de couper, battre, mixer ; l'ère est venue du « tout-en-un » et vous passeriez pour un dangereux archaïque.
Si vous voulez garder une carte en main, sortez de votre jeu la réplique qui fait mouche : « Oui, mais pour les blancs en neige, le thermomixte n'est pas à la hauteur ! ». Certaines évoqueront alors le réchauffement climatique, d'autres la nécessaire existence d'une petite faille dans la cuirasse, tel Achille et son talon, leur robot n'est qu'un demi-dieu ! Toutes pourtant affirmeront alors de concert que pour la mayonnaise, il n'a pas son pareil, en dépit de toutes les variations hormonales de ces dames .
Cette fois, si vous pimentez le débat d'une telle allusion, vous finirez le repas en charpie ; vous expérimenterez par vous-même, de l'intérieur si j'ose dire, les immenses capacités de l'appareil. Pour échapper à la peine capitale, pour obtenir leur pardon, demandez-leur d'organiser une réunion vouée tout entière au culte de la machine divine.
Vous aurez alors l'opportunité de découvrir un monde parallèle : celui de la vente par cooptation au domicile de l'une des utilisatrices, en transe, du magicien des cuisines. Vous entendrez, émerveillé, la liturgie de la vendeuse, une dame triée sur le volet parmi les utilisatrices expertes et qui profitera de merveilleux voyages financés par cette étrange société, si ladite dame se classe parmi les meilleures vendeuses de sa région.
Vous céderiez aisément aux sirènes de la modernité si le prix d'achat de ce prodige ne vous rappelait, enfin, à la réalité. Il est prodigieusement exagéré, constituant sciemment un critère de sélection, une marque de reconnaissance entre celles qui sont capables d'une telle dépense et les autres, les exclues de la croissance, les médiocres, condamnées à la tambouille manuelle.
Hélas, il sera trop tard, vous avez mis la main dans l'engrenage ; vous allez être broyé par les arguments, les témoignages, les petits plats délicieux et si simples. Vous serez aux prises avec le robot polymorphe ; il ne vous lâchera plus jusqu'à ce que vous ayez craché au bassinet. Il vous restera à repenser, de fond en comble, votre cuisine car notre illustre machine exige d'y trôner en majesté. Le plan de travail doit lui faire place nette, la mettre au centre du dispositif, sous les projecteurs et les applaudissements de la foule des convives admiratifs.
Robotiquement leur.