Jusqu’à s’en mordre les doigts

par C’est Nabum
mardi 5 juin 2018

Une histoire qui vous laissera sur votre faim.

Il était un curieux personnage qui avait décidé de vouer un amour fou à tous les animaux de la création. On ne peut naturellement pas reprocher pareil penchant, il est dans la nature des humains de se savoir partie prenante de la création au même titre que toutes les autres espèces. Une telle attitude aurait sans doute évité la grande catastrophe qui se profile à l’horizon sans que monsieur Trump n’en sache rien.

Végan, car c’était son nom avait renoncé à manger de la chair animale. Se faire végétarien est certainement une réponse adaptée au dérèglement climatique, l’abus d’alimentation carnée étant responsable de bien des maux sur cette planète. En cela, nous ne pouvons pas lui donner tort. Mais chez les individus, il y a souvent une incroyable propension à pousser le bouchon toujours plus loin. Végan étant en ce domaine, un virtuose de l’exagération.

Il refusait mordicus, tout produit issu de l’animal que ce soit pour s’alimenter comme pour se vêtir. Inutile d’aller lui manger la laine sur le dos, vous n’en auriez pas trouvé. Il préférait se couvrir de synthétique tout autant que de ridicule, grand bien lui fasse ! Point n’était question de marcher sur des œufs lorsque vous vouliez débattre avec lui, l’intransigeance était dans son camp et la discussion tournait à la foire d’empoigne.

Végan, en bon idéologue qu’il était, souhaitait plier la Terre entière à sa croyance. Il multipliait les coups de main, déchirant les filets des pêcheurs, brisant les enclos des éleveurs, insultant les chasseurs et couvrant d’avanie les buveurs de lait. Personne n’échappait à son courroux, sa fureur n’avait d’égale que son incompréhension des souffrances du monde végétal.

La fréquentation de ce curieux personnage devenait strictement impossible. Il avait fermé toutes les portes autour de lui, tournant le dos à des amis pourtant chers autrefois, sous prétexte qu’ils portaient encore des chaussures en cuir et mangeaient des œufs issus des poules qu’ils élevaient chez eux pour réduire leurs déchets quotidiens. Même les bonnes solutions ne trouvaient pas grâce à ses yeux.

Tout bascula quand la pénurie alimentaire toucha la Planète. Si la viande était devenue rare, les produits comme le lait, les œufs, les fromages assuraient un bon équilibre tout autant d’ailleurs que les végétaux qui demeuraient encore en abondance. Mais un jour, un nouveau courant de pensée évoqua le cri de la carotte qu’on arrache à sa terre natale. Végan fut bouleversé, il se jura de ne plus manger le moindre légume pas plus que les fruits de nos arbres, du moins ceux qui restaient encore productifs depuis la disparition totale des abeilles.

Végan ne mangeaient que des produits artificiels, des aliments tout autant de synthèse que les vêtements qu’il portait. Son exécration des petits éleveurs l’avait conduit à honorer sans réserve les monstres de l’industrie chimique. Tout n’est jamais cohérent de par ce monde, il en administrait la preuve à ses dépens.

Une grève mondiale, un jour bloqua durablement la production de produits de synthèse. Végan s’en trouva fort affecté. Il avait depuis quelques jours l’estomac dans les talons, refusant obstinément de faire une entorse à sa ligne de conduite. Il allait s’en morde les doigts, il ne croyait pas si bien dire. Enfant il avait appris une poésie, de Xavier Forneret, un pauvre honteux. Le texte tournait en boucle dans sa tête, devenait, par la faim qui le tenaillait, une véritable obsession. À bout de force, à bout d’espoir, il appliqua à la lettre le précepte.

Depuis Végan est certes manchot mais survit dans ce monde effroyable en étant devenu anthropophage. C’est ainsi que lorsqu’on plonge sans modération dans une doctrine, on peut finir par s’en mordre les doigts et plus encore. Nous l’avions pourtant mis en garde, mais le garçon ne voulait rien entendre. Cette histoire vous laissera peut-être sur votre faim. Dans pareil cas, suivez donc le conseil du poème ...

Carnivorement vôtre.

Xavier FORNERET

Un pauvre honteux

Il l'a tirée
De sa poche percée
L'a mise sous ses yeux ;
Et l'a bien regardée
En disant : " Malheureux ! "

Il l'a soufflée
De sa bouche humectée ;
Il avait presque peur
D'une horrible pensée
Qui vint le prendre au coeur.



Il l'a mouillée
D'une larme gelée
Qui fondit par hasard ;
Sa chambre était trouée
Encor plus qu'un bazar.

Il l'a frottée,
Ne l'a pas réchauffée,
À peine il la sentait ;
Car, par le froid pincée
Elle se retirait.

Il l'a pesée
Comme on pèse une idée,
En l'appuyant sur l'air.
Puis il l'a mesurée
Avec du fil de fer.

Il l'a touchée
De sa lèvre ridée. -
D'un frénétique effroi
Elle s'est écriée :
Adieu, embrasse-moi !

Il l'a baissée
Et après l'a croisée
Sur l'horloge du corps,
Qui rendait, mal montée,
Des mats et lourds accords.

Il l'a palpée
D'une main décidée
À la faire mourir.

- Oui c'est une bouchée
Dont on peut se nourrir.

Il l'a pliée, Il l'a cassée ;

Il l'a placée, Il l'a coupée,
Il l'a lavée, Il l'a portée,

Il l'a grillée, Il l'a mangée.


- Quand il n'était pas grand, on lui avait dit :

- Si tu as faim, mange une de tes mains.

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