L’Aigrette et la Gazette
par C’est Nabum
mercredi 22 décembre 2021
Ce qu'il advint sur les rives de notre Loire, avant que le bon roi Henry IV passe de vie à trépas sous le couteau de Ravaillac, mérite de vous être raconté. Le vert galant, tout feu tout flemme, avait créé le service de la poste aux lettres en 1603. Sous Louis XIII, cette institution balbutiante devint, grâce à l'efficacité de Pierre d'Almeras, premier maître des courriers en France, l'embryon du premier service public. L'idée allait faire son chemin et la poste devenir un moyen de relier les hommes jusqu'à ce que le courriel vienne mettre en boîte notre bonne vieille lettre. Mais ceci est une autre histoire ….
C'est dans ces années de renouveau de l'état français, après les affreux désordre des guerres de religion, qu'un brave marinier se fit une solide réputation de colporteur de nouvelles plus ou moins attestées et fiables. Il s'appelait Théophraste, pas tout à fait le bien nommé. Théo frasques eût été, à n'en point douter, un sobriquet plus adéquat, tant le garçon aimait à faire des siennes.
Il s'était fait la spécialité de colporter des fausses nouvelles, des galéjades inoffensives, simplement pour mettre les rieurs de son côté et ridiculiser tel marchand à la réputation peu flatteuse. Comme il exerçait ses espiègleries sur tout le long de la rivière, il mit bien du temps à être démasqué et, durant quelques années, put ainsi s'amuser des puissants par quelques rumeurs infondées aux conséquences toujours facétieuses.
Théophraste était devenu Voiturier en Toute Célérité, spécialité qui avait assuré la réussite de son entreprise. Il avait, en effet, conçu une bateau léger et racé, équipé d'une voile démesurée pour la taille de l'embarcation et de dérives latérales. Tel un bel oiseau aux grandes ailes, le VTC sur son bateau fendait les flots. Ce voilier à fond plat, il l'avait imaginé pour le seul plaisir d'aller plus vite que les autres, de livrer les gens pressés - il y en a toujours eu dès que le commerce impose ses droits -disposés à mettre une belle somme pour quelques jours de gagnés.
Théophraste avait l'avantage de la légèreté car ses tarifs lui permettaient de ne jamais surcharger son embarcation. Ainsi, il était certain d'être le plus rapide sur la rivière. Tout en gagnant confortablement sa vie et en mêlant le plaisir de la vitesse à la nécessité du commerce, il avait toujours plusieurs jours d'avance sur des convois imposants qui étaient attendus là où il arrivait.
C'est grâce à cet avantage incomparable qu'offre le temps gagné, que lui vint la malice de diffuser des remarques trompeuses, des assertions douteuses, des sous-entendus malveillants sur le train de bateau qui était espéré. Il s'arrangeait pour jouer de la litote évasive, de l’ellipse occlusive, de l'oxymore compulsif, de l'hyperbole disruptive, jonglant sans cesse du propos lâché par inadvertance pour déclencher une alarme qui mettait toujours en émoi un puissant de l'endroit.
Théophraste était habile dans l'art de la rouerie et de la langue de bois : forme qui tient le flot de l'argot marinier. Il y avait du bonimenteur en lui. Ses histoires, pour abracadabrantes qu'elles pussent paraître, trouvaient toujours de l'écho parmi les gens restés à quai. Lui, il déposait son venin, laissait prendre la mayonnaise, tandis qu'il avait, depuis longtemps, filé dans un autre port, une nouvelle escale où il avait une autre tromperie à dire.
Partout où passait Théophraste, l'émotion et l'affolement provoquaient bien des troubles chez les marchands. Ici, il laissait supposer qu'un chargement de blé venait de sombrer et, immédiatement, les prix s'envolaient. Là, il prétendait sans l'affirmer bien sûr, qu'un convoi de vin avait subi des avaries au passage d'un pont redouté. Ailleurs, il laissait croire qu'un faux-saunier, célèbre et espéré, s'était fait prendre, avec tout son chargement, par les gabelous.
Chaque bruit qu'il offrait ainsi à la gourmandise des bavards et à la sottise des naïfs de toutes conditions, se mettait à enfler avant, immanquablement, d'arriver aux oreilles de celui qui était visé par la machination du coquin. Théophraste ne profitait guère du spectacle de ces tromperies verbeuses, pourtant, cela l'amusait tant, qu'il riait sous cape du mauvais tour qu'il avait, une fois encore, joué à sa façon.
Cependant la combine finissant, petit à petit, par être éventée, Théophraste eut la sagesse de ne pas trop insister quand il sentait que sa crédibilité était remise en cause, ici ou là. L'homme était prudent et bien plus malin qu'il n'y paraissait. Il avait d'autres tours dans son sac pour exercer son talent de menteur. C'est, d'ailleurs, auprès des dames qu'il excellait, obtenant par des propos enjôleurs des privautés que je m'interdis d'évoquer ici …
Tout cela n'aurait laissé aucune trace dans l'histoire si son bateau ne s'était appelé « l'Aigrette ! », un nom de baptême qui lui collait parfaitement quand les voiles étaient sorties et qu'il fendait les flots plus vite qu'aucun autre navire lourdement chargé. Théophraste était, à sa manière, un voileux bien avant l'heure, un amoureux du sport nautique sans qu'il existât encore.
Les gens d'ici ont toujours eu l'habitude de déformer les choses, de donner des surnoms, de modifier les mots par goût de l'invention verbale. Son « Aigrette » devint bientôt « La Garzette ». Il y avait dans ce sobriquet quelques nuances de légèreté et de vivacité. Bien vite, on entendit, sur les bords de la Loire, cette curieuse expression : « Tiens, voilà la Garzette qui arrive, nous allons encore avoir de drôles de nouvelles ! ».
Un jour, un certain Renaudot, en personne, passa par chez nous. Il fut intrigué par ce personnage qui, curieusement, portait le même prénom que lui. Alors, quand il entendit cette exclamation, il y prêta attention. Hélas, un peu dur de la feuille-la chose peut paraître étrange quand on sait ce qui le rendit célèbre-il comprit un mot qui jusqu'alors n'existait point. Il garda ce mystère pour lui et s'en retourna à la capitale.
Peu de temps après, en 1631, le sieur Renaudot publia le premier numéro d'une brochure qu'il intitula « La Gazette ! » Vous voyez à quoi peut tenir une invention. La Loire avait, une fois encore, joué son rôle. Plus tard, d'autres journaux virent le jour et tous, avec une constance qu'il faut souligner ici, s'évertuent à perpétuer la tradition du père Théophraste. La presse louvoie entre vérité et mensonge, entre farces et frasques surtout quand elle agit pour les intérêts des riches marchands. Mais cette fois, ce sont surtout les petites gens qui ont font les frais ; jamais le père Théophraste n'aurait toléré cela !