La crème fouettée sous toutes ses formes

par C’est Nabum
samedi 19 mars 2016

Les excédents de produits laitiers.

Continuons donc notre tour d'horizon des innombrables facettes de la société dite de consommation. Tandis que nos amis les éleveurs travaillent à perte et se ruinent au seul profit de ce cher Crédit Agricole, les professionnels de l'industrie agroalimentaire font leurs choux gras avec les différents dérivés du lait. Si ce n'est pas très beau c'est en tout cas fort laid de mettre à mal une noble profession qui, de dépit, va finir par nous envoyer paître, nous les consommateurs qui ne pensons qu'à acheter le produit le meilleur marché, qu'importe sa qualité !

C'est donc par mètres cubes que nous arrivent en provenance de la banque alimentaire, yaourts, fromages blancs, crèmes desserts, mousses et autres facétieux articles, tous plus douteux et moins diététiques les uns que les autres. Tous les conditionnements viennent habillés de cartons, d'emballages plastiques et de jolies graphies colorées ; ces pauvres produits qui ont une durée de vie fort courte pour notre plus grand désespoir.

Les rayons regorgent, les surplus sont multitude, les invendus et les dates de péremption trop proches finissent désormais dans nos officines de recyclage de la misère. C'est un casse-tête sans nom que de gérer le stock, de veiller au grain et, à la date limite, de déplacer, au fur et à mesure, cette immense cohorte de produits si fragiles qu'il ne faut pas prendre le moindre risque.

Monsieur Danone et ses joyeux collègues se frottent les mains, les éleveurs pleurent la misère et les bénévoles des associations caritatives ne cessent de maudire cette grande distribution, incapable de ne pas gaspiller ! Que faire de tout cela ? Le distribuer me direz-vous et c'est bien ce que nous faisons quand c'est possible.

Mais que faire de ces myriades de pots de crème fraîche ? Doit-on faire un lot avec le foie gras, les viennoiseries et le saumon fumé d'élevage ? C'est la crise de foie assurée pour tous. Je me suis mis en tête de fabriquer des desserts avec cette matière première bradée pour être jetée par les fenêtres. Je sors le fouet, celui dont j'ai envie de poser sur quelques fesses responsables d'une telle gabegie, afin de transformer la chose en une gourmandise plus délicate.

Je sais : je ne fais pas œuvre de santé publique. Le risque est grand de faire des diabétiques parmi les pauvres gens qui bénéficient de nos largesses. Je l'assume. De toute manière, la crème sera donnée et risque fort de servir de fromage blanc. Ventre affamé n'a pas la sagesse de se modérer, c'est bien connu. Nous devons écouler les excédents, c'est désormais notre seule mission !

Je m'ingénie à donner du goût à la chose en variant les plaisirs et les saveurs. Le miracle des surplus et des invendus, c'est qu'on y trouve de tout alors que ça ne vient jamais de la Samaritaine. Une fois ce fut de la vanille et de la poudre d'amande, une autre fois de la mousse de chocolat vendue par seaux de peinture et des raisins secs. Aujourd'hui, c'était du Nutella et de la crème de marrons, un produit qui n'a pas bonne presse parmi les gens de la rue …

Je monte la crème au fouet, j'en fais une crème légère, onctueuse, parfumée de quelques épices qui me tombent, elles aussi, sous la main. J'incorpore ce qui convient à mon humeur du jour et je glisse cela dans de petits pots ; c'est énergisant et savoureux. Les bénéficiaires ont désormais compris qu'ils pouvaient me faire confiance les yeux fermés tant qu'ils n'ont pas effectué d'analyses médicales. J'ai honte !

Pour agrémenter le tout d'une belle touche de couleur : le gaspillage étant sans limite, nous avons hérité de crottes en chocolat, de confiseries incertaines et cette fois, en ce début mars, de fraises venues, on ne veut pas savoir d'où. Ces produits n'ont rien à faire dans nos assiettes en cette période de l'année ; ont-ils besoin de prendre l'avion pour finir par être bazardés par des distributeurs qui ont les yeux plus gros que le ventre ?…

Chaque passage dans ma petite association est pour moi l'occasion de nouvelles exaspérations, de colères sourdes et de comportements de ma part bien peu en adéquation avec mes convictions profondes. J'essaie au moins d'apporter un peu de bonheur à nos convives en trouvant des manières d'accommoder les restes, les reliquats, les rebuts, les rejets, les rossignols de notre belle et grande société de consommation. Je m'applique, je cherche la petite touche originale qui va apporter le sentiment d'être considérés et bien traités à des gens fracassés par l'existence. Je fais sans doute fausse route, mais ne pouvant rien changer à ce monde délirant, je lui donne un peu de fantaisie.

Samedi, c'est l'auteur de livres de contes qui, à son tour, va jouer la tête de gondole dans un de ces lieux où nous finissons par perdre pied avec le réel. Cette fois, je ne suis pas très inquiet : la folie consumériste ne risque pas d'enflammer les clients qui pousseront leur chariot. Le livre n'appartient pas à cette grande chaîne du gaspillage organisé. Bien au contraire, la parcimonie risque d'être la règle.

Je ferai comme aujourd'hui, je raconterai des histoires : histoire de faire monter la mayonnaise. J'aurai sans doute moins de succès qu'avec mes desserts : pour le livre, le client n'est pas une vache à lait. Mais qu'importe, l'essentiel n'est-il pas de croire encore et malgré tout, en la capacité de l'être humain à ouvrir enfin les yeux. Les nourritures spirituelles ne sont pas encore en limite de péremption, quoique beaucoup de livres finissent désormais au pilon en attendant le retour prochain des autodafés.

Disparatement vôtre.


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