La dinde et le chapon

par C’est Nabum
jeudi 31 décembre 2015

L'embûche de la Saint Sylvestre

Une dinde se prit d'amour pour un chapon dans une basse-cour de Bresse. L'aventure n'est pas banale, la liste des amours impossibles est, hélas, sans fin. Partager une émotion est un don du ciel ; il est bien rare que deux cœurs battent à l'unisson. Ici, le chapon toisait la dinde énamourée, la regardait d'un œil froid et distant.

La dinde qui avait des ressources prit sa plus belle plume pour lui écrire un billet doux. Hélas, mille fois hélas, pour les mots d'amour, rien ne vaut la plume d'oie. La pauvrette fit tant de pâtés que son message en perdit toute lisibilité. Le chapon se gaussa de la dame et de ses pattes de mouche. Il lui tourna le dos sans autre forme de procès.

La dinde ne voulut pas rester sur cet échec cuisant. Elle quémanda auprès de l'oie, sa voisine, ce calame qui fit jadis sa réputation. Avec une calligraphie soignée, les mots d'amours touchent plus souvent leur cible que lorsqu'ils sont entachés de fautes et de ratures. L'oie n'est hélas pas prêteuse : elle aime à jouer la prétentieuse et refusa tout net la quémande de notre dinde.

Les deux volatiles se prirent de bec. La seconde vola dans les plumes de la première qui résista bec et ongles à cette odieuse agression. Le duvet voltigea un peu partout, la bataille fit rage, les coups et les insultes volèrent si bas que le chapon, flatté qu'on se batte ainsi pour lui, se fit spectateur admiratif de la rixe.

Quelques pintades se mêlèrent de la querelle en arrosant nos belligérantes d'œufs qui avaient été abandonnés en cours de couvaison. La scène prit des allures de tragédie ; le poulailler en fut si bouleversé qu'une poule n'y aurait pas retrouvé ses petits. Le coq voulut sonner la fin des combats. Son chant resta sans effet ; dindes, oies et pintades ne lui reconnaissant aucune légitimité, le fier gallinacé alla se percher sur le toit d'une église voisine pour y bouder tout à son aise.

Ce fut l'intervention de la fermière qui vint mettre à terme à l'algarade. Il était temps : les demoiselles étaient en piteux état. La dinde boitait bas : elle eut recours à une cane pour s'appuyer sur elle et regagner son logis. Le chapon vaquait à nouveau à ses occupations, indifférent à ces dames qui lui avaient montré pourtant tant d'intérêt.

Il ne se doutait pas, le bougre, que son heure allait sonner. Si la fermière était venue ici, ce n'était certes pas pour s'interposer dans une querelle de clocher mais pour quérir l'animal qui était gras à point. La femme voulait remplir sa bourse au moment des fêtes en vendant celui qui n'en avait plus. L'ironie de la situation échappait totalement à la dinde qui voyait son galant menacé de meurtre.

Fort heureusement la fermière était fort malhabile et incapable de tuer avec un couteau la moindre poule, et,à plus forte raison ,un chapon. Elle voulut user d'un expédient peu usité dans nos élevages. Sous prétexte que le chapon était destiné à être farci de marrons, la brave femme lui appliqua des électrodes sur le dos, espérant qu'une bonne châtaigne électrique l'enverrait de vie à trépas.

Le choc fut violent mais non point mortel. Le chapon, ébranlé sur ses bases, subit en l'instant un contrecoup qui lui redonna force et vigueur. Il s'évada de l'emprise de la fermière et trouva refuge auprès de cette dinde qui, jusqu'alors, n'avait reçu de sa part que dédain et mépris. La demoiselle en fut si honorée qu'elle fit barrage de son corps devant la tueuse maladroite.

Bien mal lui en prit. Furieuse, la méchante femme, aveuglée par la colère, étrangla la dinde qu'elle prit pour le chapon. Elle s'en retourna chez elle plumer celle qui avait perdu la vie par amour . Le chapon n'en fut pas troublé plus que ça. À l'instar de ceux de son sexe, et même s'il en était dépourvu des attributs d'icelui, il se tourna vers l'oie qui lui fit une petite place sous son aile protectrice.

Ainsi va la vie dans les basses-cours en cette période de Noël. Il y a grand péril à se mettre en évidence ; l'avenir n'appartient qu'à ceux qui vivent cachés. La dinde, pour son plus grand malheur, avait fait preuve de trop d'exubérance au lieu de se faire discrète et de fuir ses congénères. Elle eut certes une belle fin, de celle qui justifie les moyens. Mais quant à elle, avouons qu'elle resta sur sa faim et ne sut jamais que son chapon n'était pas galant à la satisfaire.

L'oie et le chapon vécurent heureux même s'ils n'eurent jamais d'enfants. Il n'y a pas toujours de morale dans les histoires de plumage. L'oie se spécialisa dans l'œuf de Pâques d'autant plus aisément que, pour l'amour, avec son pauvre compagnon, elle était chocolat ! Je n'ai plus qu'à vous souhaiter un joyeux réveillon. Évitez l'indigestion et n'accordez aucune importance à ce pauvre récit sans queue ni tête.

Nativement leur.


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