La fête des autres

par C’est Nabum
vendredi 16 mai 2014

La grande manipulation

La foule a forcément raison.

 

Qu'est-ce que la fête ? Vaste question qui suppose bien des réponses différentes. C'est en tout cas un moment, à mes yeux de ronchon chronique, qui ne se décide pas, qui ne s'organise pas, qui ne se décrète pas par un calendrier, une célébration ou une manifestation. Ces évènements peuvent, bien sûr, favoriser l' épanouissement de ce mystère, à la condition essentielle qu'ils laissent des marges de manœuvre à ceux qui s'y rendent.

Quand tout est borné, prévisible, encadré, embastillé, la fête perd de son charme, elle devient une parodie ou bien un spectacle auquel on convie des gens qui ne seront alors que spectateurs émerveillés, barricadés et obéissants d'une activité qui défile devant eux. C'est sans doute un moment agréable ; celui qui regarde ne faisant alors que perpétuer son comportement de téléspectateur docile en s'offrant, pour une fois, un spectacle en vrai.

La fête ne peut se vivre de manière passive. Il faut devenir acteur de ce qui se déroule, agir, chanter, danser, rire et inventer à son tour d'autres possibles. Si cette liberté n'est pas permise, la fête est une duperie ; elle place celui qui regarde dans le rôle de celui qui n'a le droit que d'applaudir et de s'extasier. Rien de déshonorant dans ces actions mais rien de fondamentalement festif non plus.

Le fête aime la surprise, l'imprévu ou la spontanéité. Tout ce qui forcément déplaît aux thuriféraires de la sécurité, de l'organisation, de l'encadrement policier et de l'aliénation des masses. La fête est par définition subversive parce qu'elle libère la parole, fait sauter les cadres, brise les hiérarchies et les tabous. La fête des fous fut la plus parfaite illustration de ce que pouvait être, dans un système pourtant parfaitement cadenassé, un grand moment de liberté et d'insoumission.

On peut aisément admettre que la fête interroge le pouvoir car elle le met en danger. C'est précisément pour ça qu'il lui préfère la cérémonie, le défilé, le carnaval ou bien tout autre forme ou le quidam est limité à son simple rôle de témoin passif. Pour le satisfaire, il suffit de mettre des moyens, de confier à des personnes mandatées pour cette fonction, le soin d'assurer les divertissements des plus nombreux.

La fête est « faite » par les autres. C'est le garde-fou de nos sociétés civilisées et encadrées. Les lois d'ailleurs ont sans cesse, pour des raisons que le vivre ensemble justifie pleinement, limité les possibilités de faire grand chahut et joli tapage sur l'espace public. Curieusement, les autorités ferment les yeux quand il s'agit d'une hystérie collective autour d'un grand évènement sportif : cet opium qu'on sert au peuple pour le brider encore plus.

La fêtes des autres, c'est d'abord la fête du pouvoir qui fixe de manière autoritaire les règles du jeu. Devant un tel carcan, les plus jeunes ont pris l'habitude de la transgression absolue ; la fête devient bacchanale, furia, délire assourdissant. Ils la vivent comme une provocation nécessaire qui doit forcément gêner et provoquer ces gens trop sages et trop obéissants que sont les plus vieux. Cela pourrait être sympathique si derrière, existait vraiment un désir de liberté et de rébellion. Hélas, ce n'est qu'un exutoire explosif qui les laisse vides et ahuris afin de reproduire le carcan à leur tour.

C'est sans doute pour cela que les décideurs organisent parfois des moments délirants ou décibels et alcool dégueulent à foison. Ces débordements stupéfiants ne bouleversent nullement l'ordre établi ; ils effraient le bourgeois, ils exaspèrent les parents, ils assourdissent les voisins mais ne sont porteurs d'aucune remise en cause d'un système dont le seul but est de faire de chacun un consommateur.

Alors, pas de vraie, de bonne, de formidable fête sans la foire aux odeurs de friture, aux glaces et confiseries, aux boissons gazeuses et à la bouffe, élevée au rang d'institution nationale. C'est d'ailleurs l'exact contraire de cette gastronomie dont nous sommes si fiers. Le « festoyeur » tranquille doit ingurgiter du médiocre, de l'insipide, du mauvais, du dégoulinant. C'est une règle à ne pas enfreindre, un préalable à une bonne fête qui vous promettra des lendemains nauséeux.

Alors oui, ces fêtes autres, ce ne sont pas celles qui m'attirent. Je m'y sens mal, je ronge mon frein de ne pouvoir y mettre mon grain de sel et d'apprécier celui des autres : ceux qui sont condamnés à se taire. La fête c'est le partage et non le parcage, c'est l'invention et non la célébration, c'est la liberté et non le programme établi.

Voilà ma réponse, elle ne fera que renforcer cette image de pisse-vinaigre qui curieusement déplaît tant aux véritables Orléanais. J'ai besoin d'espace et de liberté, j'ai surtout un désir viscéral de sens. Je ne peux me satisfaire des duperies et des mensonges, des anachronismes et des télescopages qu'on nous impose dans ces fêtes qui sont tout... sauf des fêtes. Ce ne sont d'ailleurs pas les fêtes des autres, ce sont les prisons dorées des autres et je m'en évade au plus vite.

Explicativement sien.

Photographies : Alain Pavard-Doisneau

 

 


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