La logistique du Tacon
par C’est Nabum
lundi 9 mai 2016
C’est pas bidon !
Un mois sur l’eau, en canoë, demande un peu d’organisation et une bonne tranche de folie. Si pour le deuxième terme de l’équation, nous ne sommes pas en manque, loin s’en faut, c’est pour la première partie que le bât blesse. C’est d’ailleurs exactement le terme qui convient, car question bât nous serons chargés comme des mulets …
Le petit linge de ces messieurs, même s’il sera sommaire et plus fonctionnel que coquet, se satisfera d’un rangement en vrac dans un bidon. Là n’est pas le souci, le faux pli sera de rigueur. Que ceux qui comptent rencontrer des gens à la mise impeccable passent leur chemin : nous tiendrons davantage de l'épouvantail que du capitaine d’opérette. Nous disposerons d’une douche solaire pour vous éviter les désagréments de l’odeur ; c’est déjà pas si mal.
Le nécessaire à toilette prend, quant à lui, bien des formes étranges. Si la trousse sera pleine ce sera en plus des indispensables accessoires dont la liste vous barberait, des onguents et autres crèmes pour lutter contre moustiques, soleil et autres contrariétés des bords de l’eau. Ajoutons à cela du fil à linge et des épingles idoines pour que parvienne à sécher la maudite serviette, toujours humide dans pareille expédition et n’oublions pas la redoutable pelle américaine pour effacer toute trace intestine de notre passage sans omettre le papier toilette blanc ni le briquet pour faire disparaître ce confort illusoire.
Voilà un bidon rempli et vous n’avez encore rien prévu pour la nuit. La tente prendra le risque de voyager à l’air (ou à l’eau) libre. Sa forme ronde ne favorise pas son rangement optimum. Si le duvet, trouve refuge dans un bidon, l’indispensable tapis de sol se refuse à le suivre. Pourtant, l’objet est de toute première nécessité si les réveils ne veulent pas être accompagnés d’un violent mal de dos. Encore un objet incasable qui risquera l’humidité.
La partie cuisine doit trouver, elle aussi, sa place. Le monde est ainsi fait que nous ne trouverons pas toujours panier-repas pour nous accueillir. Nous donnerons dans le riz quand l’ingratitude ou l’indifférence de nos contemporains nous abandonnera à notre solitude. C’est sur le haut du parcours que le risque sera le plus grand et nous ferons contre cette infortune bon cœur en emportant réchaud et gamelles.
Le Bonimenteur a quelques soucis particuliers. Il doit penser à faire suivre un petit stock de livres pour éventuellement satisfaire les demandes de quelques amis de passage. Le rangement de livres dans un bidon n'est pas chose très rationnelle et posera sans doute un gros problème ; il faudra songer à une version numérique la prochaine fois. J’ajoute qu’un vieil ordinateur sera du voyage et que c’est lui le plus vulnérable à l’eau. Une double protection s’impose : sac étanche et bidon du même type serviront de réceptacles à cet indispensable compagnon de route. Quant à Georges, c’est lui qui se chargera d’un téléphone et d’un appareil photographique qui devront donner dans l’étanche.
Ajoutons encore gaffe, pagaie de secours, gilet de sauvetage, gourde, corde, bâche, siège pliant pour écrire dans un relatif confort, batterie-car l’électricité va venir à nous manquer à nous qui irons pourtant sur le courant- enfin tenue de scène pour l’étrange animal ligérien que je suis, et... un raton laveur ; vous aurez ainsi une petite idée de la transformation de nos frêles esquifs en lourds cargos de fret. Le plus délicat consistant alors à tout attacher afin qu’un redouté renversement ne vienne ruiner le voyage du Tacon et faire tomber à l’eau les ardeurs de ces deux furieux.
Ce sera chaque matin un long exercice de patience et de méthode pour trouver une place à chaque chose et que chaque chose dispose de sa bonne place en toute sécurité. Les roulettes de notre petit chariot pour les éventuels transferts terrestres viennent en dernier lieu tenter de se caser avec le risque terrible de percer les poches d’air qui prennent une place considérable pour éviter de faire couler l’expédition.
Voilà, vous savez les grandes lignes de la quadrature du cercle que nous avons à résoudre pour aller au fil de l’eau. La légèreté ne sera qu’apparente ; la complexité sera notre compagne avec, en outre, le désagrément de ne jamais pouvoir quitter notre embarcation et son matériel des yeux : les gens sont si mesquins qu’il est désormais impossible de laisser sans surveillance cet effroyable barda. Nous sommes ainsi condamnés à rester sur la rive ; pour cette raison c’est à vous de venir à notre rencontre si vous avez envie d’entendre nos aventures. À bientôt donc.
Bourriquement vôtre.