La Loire arrose Versailles

par C’est Nabum
mardi 28 juin 2016

Sacré Paul Riquet

Notre brave Paul Riquet avait plus d'un tour dans son sac. Cet avisé percepteur de la gabelle avait un sens assez particulier du service du Royaume. Il était aussi impitoyable vis-à-vis des braves sujets de sa gracieuse majesté en matière d'impôt, qu'imprévoyant lorsqu'il s'agissait de rendre à Louis, quatorzième du nom, ce qui n'appartenait pas à Paul.

Ne lui jetons pas la pierre ; les mauvaises habitudes ont été prises de tous temps et il ne serait pas surprenant que, de nos jours, d'autres étourdis confondent l'argent public et le leur. Il a eu la chance de croiser Colbert qui, en deux occasions, le remit sur le droit chemin et lui assura une notoriété posthume, certes pas en rapport avec sa moralité de son vivant.

C'est d'abord lors du creusement du canal du midi, que le ministre intègre prétendit fermer les yeux sur les malversations du fermier général, à la condition qu'il termine à ses frais son grand canal. Les petits ruisseaux font des grandes rivières et les dessous-de-table finissent par remplir un un canal. Paul Riquet obtempéra : il n'avait pas le choix.

Puis, nous retrouvons notre aventurier de la canalisation des eaux à Versailles. Le roi Louis XIV a la folie des grandeurs et un goût prononcé pour les pièces d'eau. Il aime les fontaines, les bassins, les décorations aqueuses. Déjà panier percé avec son beau château, il puise sans compter dans les ressources en eau locale. Les puits comme les fonds sonnent creux.

Paul Riquet n'est jamais avare d'une bonne idée, pourvu qu'il en tire quelques avantages. Curieusement, ce sont toujours les fripons qui ont l'oreille des puissants. Rien de nouveau sous le soleil : qui se ressemble finit toujours par s'entendre. Paul assure à son cher Louis qu'il y a moyen de faire parvenir l'eau de la Loire à Versailles en creusant un canal d'alimentation. Ainsi les bassins seront-ils alimentés et l'ingénieux personnage sera-t-il récompensé en liquide !

Le sus-dit Paul a commandé des études ; elles sont formelles. Le tour de passe-passe est possible, le dénivelé entre Orléans et Versailles est de nature à favoriser son grand dessein : renflouer ses fonds mis à mal par le canal du midi. Les plans sont dressés, l'argumentation si convaincante que le budget est voté ; 5 millions d'écus pour remplir les tonneaux des Danaïdes du roi Soleil. Rien n'est assez beau pour son château !

Colbert a comme un doute ; il s'entoure de gens bien plus sérieux que les malandrins et les gougnafiers de Riquet. C'est vers l'abbé Jean Picard, un astronome réputé, un savant sérieux qui connaît la mesure et agit en conséquence. L'abbé refait des calculs, il découvre le pot aux roses : il y a une grossière erreur, un dénivelé qui a été largement sous-évalué. L'aventure est risquée ; les travaux sans doute impossibles dans le budget prévu.

Il y a de l'eau dans le gaz entre Paul Riquet et Jean Picard ; il y a surtout une différence de 20 mètres, une broutille sans doute, mais une montagne infranchissable. Les deux bassins versants vont se tourner le dos, Versailles ira chercher son eau en Seine après des travaux qui seront, eux aussi, prohibitifs. Le bon Colbert a agi pour le bien public : il a détourné les flots de la malversation.

C'est à nouveau l'une des bonnes et remarquables actions de ce grand ministre qui, curieusement, après avoir tant fait pour la Loire, la navigation, la marine nationale, les levées et l'industrie ligérienne n'a pas le plaisir d'être honoré de rues à son hommage dans nos villes si ingrates. On préfère les princes impécunieux, les conseillers véreux et les brigands notoires. La probité n'a pas bonne presse, ni même plaque de rue.

L'abbé Picard, lui aussi, est un bel oublié. Il reviendra pourtant à Orléans prendre la mesure de la cathédrale avec un baromètre à double niveau en compagnie d'un gars du pays : le fils de la verrerie de la Rue de Recouvrance : le petit Thoynard. Nous aurons l'occasion de revenir à ceux-là. Gloire à eux et honte à Riquet !

Canalisationnement sien.


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