La poule amoureuse
par C’est Nabum
dimanche 20 avril 2025
Conte Pascal
Quand la chair est faible
Coquette, une charmante poule, un jour se prit d'amour pour un coq. Si la chose peut paraître tout à fait ordinaire, dans son cas, il en allait tout autrement. La dame avait jeté son dévolu sur un coq des plus distants, un bel animal qui n'avait jamais daigné s'abaisser dans la piétaille de sa basse-cour. Il avait pris de la hauteur au point qu'il semblait totalement inaccessible à celle qui lui vouait une passion folle.
Le coq quant à lui ne lui accordait aucun regard. Il avait même un côté versatile, portant son intérêt au gré du vent et des circonstances, le regard toujours au loin. Un petit détail préoccupait du reste la demoiselle : jamais elle ne l'avait entendu chanter. Il restait éternellement silencieux même si de temps à autre, il sonnait les cloches à toutes celles qui ne lui portaient aucune attention.
Coquette faisait tout afin qu'il la remarque et qu'il cesse ainsi de la prendre de haut. Elle avait commencé par voler dans les plumes de ses congénères mâles qui fréquentaient son enclos, leur signifiant ainsi qu'ils n'étaient pas dignes d'elle. Elle fut mise au ban par ses congénères qui jugeaient fort mal un tel comportement qui lui interdisait de procréer.
Elle n'en avait cure, celui qu'elle désirait comme géniteur était ce magnifique mâle qui restait imperturbablement perché sur son promontoire. Il tournait le dos aux habitudes de l'espèce, se refusant à profiter d'un refuge pour affronter les périls de la nuit. Du reste nul renard n'aurait jamais songé à lui chercher querelle tant il imposait une force tranquille.
L'existence de notre poule blanche bascula à quelques jours de la fête Pascale. Le brave curé de l'endroit, las de voir son église de plus en plus désertée le dimanche de Pâques au profit des chasses aux œufs en chocolat qui accaparent les jeunes enfants, leurs parents et grands-parents eut l'idée de couper l'herbe sous le pied à tous ces maudits mécréants qui travestissent les rites et les rituels.
L'abbé Bonnet était un ami de l'éleveur qui avait Coquette dans son nombreux cheptel. Il demanda au brave homme de lui confier sa joyeuse troupe caquetante les deux nuits qui précédaient le fameux dimanche de Pâques afin qu'elles s'ébrouent tout à loisir parmi les prie-Dieu, les confessionnaux ainsi que du narthex au transept pourvu qu'elles n'envahissent pas le cœur où trône l'autel sacré. À charge pour le brave curé de leur barrer la route pour préserver ce lieu de culte.
Dans l'esprit du saint homme, la plus belle chasse aux œufs qui soit ne pouvait se dérouler que dans la maison de dieu le jour même du retour des cloches. Une chasse idéale du reste pour rompre le jeûne du Carême sans barbouiller l'estomac des enfants de Marie, mis à mal par quarante jours de restrictions alimentaires. Il imaginait une église pleine comme un œuf sans avoir besoin de sonner les cloches à ses paroissiens.
Pour Coquette l'occasion était fort opportune pour se rapprocher de celui qu'elle chérissait par-dessus tout. La première nuit, elle décida de faire son nid dans la chaire, manière de s'élever un peu vers l'élu de son cœur tout comme de se dissimuler pour rester dans la place le lendemain et partir à la quête d'un difficile rapprochement.
La nuit dans cette vaste église ne fut pas aussi confortable que dans leur poulailler. La température y était glaciale et Coquette comme ses congénères en eurent la chair de poule tandis que le respect de l'orthographe leur interdit d'y adjoindre des « œufs » même pour celle qui était bien en chair. Au matin quand ses collègues s'en retournèrent picorer chez elles, notre poule amoureuse chercha manière de rejoindre celui qu'elle aimait.
C'est alors qu'elle entendit le bedeau se plaindre de l'idée farfelue de l'abbé Bonnet alors qu'il venait vérifier le mécanisme des cloches. Le vieil homme bougon parlait de par devers lui et déclara : « Dussé-je me faire sonner les cloches le lendemain du vendredi saint, je trouve que notre curé avec son histoire d'œufs de Pâques tire un peu trop sur la corde ! »
Coquette était, j'ai omis de vous le préciser de la race Crèvecœur, une des plus anciennes races françaises issue de poules venues de Padoue en Italie et importée au pays sous Louis XI. Elle est connue pour sa huppe qui la distingue de nombre de ses consœurs. C'est cette huppe magnifique qui lui donnait la prétention de pouvoir tomber le coq du père Bonnet.
Elle, dont les ancêtres avaient traversé les Alpes se dit alors que la nuit suivante, elle allait escalader la corde pour se rapprocher de ce coq qui décidément ne faisait pas le moindre effort pour rejoindre toutes ces femelles qui paradaient à ses pieds. Coquette, jouant simultanément des ergots et de ses ailes s'éleva vers les cieux. Il n'est pas plus bel endroit qu'une église pour parvenir à ce résultat.
Arrivée à hauteur du beffroi, elle prit à juste titre moult précautions pour ne pas faire tinter les cloches ; pareil méfait eut alors relevé du blasphème tout en mettant la puce à l'oreille de ce bon curé Bonnet. Il ne fallait pas non plus mettre sur ses gardes celui qu'elle avait nommé Chantecler sans jamais avoir jusque-là entendu le son de sa voix.
Elle s'approcha délicatement de l'élu de son cœur qui une fois encore lui tournait le dos. Le cœur de Coquette battait la chamade, elle allait enfin toucher du doigt le but ultime de son existence. Elle était maintenant à portée d'aile de son vœu le plus cher quand une saute de vent soudaine fit se retourner Chantecler.
Les deux volatiles se prirent de bec dans une étreinte aussi fugitive que fulgurante. Coquette eut l'espace d'un trop bref instant le sentiment que le coq restait de marbre devant elle, impression renforcée par la dureté d'un plumage qui ne bougeait pas au vent. Sous le choc, la pauvre perdit l'équilibre alors même qu'elle s'était agrippée à la lettre N de la rose des vents.
Perdant le nord, elle chut irrémédiablement et s'écrasa sur le parvis de l'église. Durant les brèves secondes de sa descente aux enfers, elle renonça à battre des ailes. Elle s'était honteusement trompée sur la nature de celui qu'elle avait toujours chéri et qui n'était qu'un être factice, illusoire et sans vie. Elle tombait de haut et ne pouvait s'en remettre…
À l'instant même où la malheureuse Coquette s'écrasait sur le sol, les cloches qui étaient restées silencieuses, sonnèrent à toute volée. Elle eut le temps d'exprimer une dernière pensée avant le grand voyage pour une autre vie : « J'aurais mieux fait de marcher sur des œufs plutôt que de m'amouracher d'un coq de métal ! »
L'initiative du père Bonnet fut un flop magistral. Les poules n'avaient pas pondu, elles avaient jonché l'église et qui plus est, une des leurs avait répandu ses entrailles devant le grand portail. Quelques grenouilles de bénitiers y virent les signes d'un mauvais présage, elles se signèrent et changèrent de paroisse ...