La salle des fêtes

par C’est Nabum
samedi 9 décembre 2017

Et ses fauteuils en bois

Je me souviens de notre vieille salle des fêtes, toujours fermée jusqu’à ce qu’un jour, des bulldozers viennent la raser. Grande masse close, elle avait été construite à la va-vite sans doute après les destructions de la seconde guerre mondiale. Comme les lieux de spectacle d’alors, elle avait eu encore quelques heures de gloire puis la télévision avait sonné son désamour. Elle n’était plus utilisée ou si peu que je ne parviens pas à me souvenir d’une quelconque programmation.

Nous avions notre annexe de l’école primaire le long de ses murs. Deux classes dans un préfabriqué, les grands du Certificat de fin d’Études, des garçons qui allaient rentrer dans la vie active après cet examen qu’ils n’étaient pas tous certains d’obtenir et nous, les brillants sujets appelés à passer le concours d’entrée en sixième. Et oui c’était ainsi, on ne traînait pas trop sur les bancs de classe en ce temps.

De la salle des fêtes, nous ne savions rien. Il fallut un jour une chasse au trésor pour qu’elle rouvre enfin ses portes, nous montre ses fauteuils en bois, pliables et fixés sur le béton du sol. La scène au fond accueillait l’animateur et il était aisé de percevoir l’état de délabrement de la salle. Ce fut la seule fois où je la vis ainsi. Bien vite, elle fut destinée à une autre fonction, on ferma la scène et tant bien que mal, on la dévoua aux tapis de lutte d’une nouvelle section sportive qui ne trouvait place ailleurs.

J’imagine aisément l’inconfort et souvent le froid glacial que devaient supporter nos lutteurs en petite tenue. Le corps à corps a beau tenir chaud, il était urgent que la ville s’équipe d’un gymnase d’autant que la section hand-ball piaffait d’impatience de pouvoir monter enfin les échelons régionaux en cessant de jouer en extérieur. Les crédits furent débloqués et la salle des fêtes rasée.

Elle ne fut jamais remplacée. Des salles polyvalentes virent le jour, de grands lieux voués à tous les usages possibles, mais une véritable salle de spectacle point. Le Festival de Sully occupait le château, il ne fallait sans doute pas proposer un autre endroit. Ce fut pourtant chose faite avec la rénovation de l’église Saint Germain qui accueille désormais des expositions tout en étant capable, par un dispositif ingénieux de voir sortir de terre un gradin pour devenir salle de concert.

Il était question, il y a quelques années que je m’y produise en première partie d’une chanteuse qui reprend le répertoire de Barbara. Des difficultés techniques vinrent réduire ce rêve à néant. Un autre espoir avec une troupe belge chantant Brassens brisa mon désir de me produire enfin dans mon village natal. Puis plus rien, même mes balades contées ne semblent pas intéresser les responsables de la communication municipale.

Je me demande si je ne dois pas reconstruire dans mes rêves la vieille salle des fêtes, c’est bien là seulement que j’aurais la possibilité de me faire entendre, dans un espace disparu, dans un village qui n’existe plus vraiment. Il faut accepter la dure loi du temps qui passe, je ne parviens sans doute pas à m’y résoudre. Le rideau se lève toujours sur le bal de mes nostalgies, à contretemps d’une évolution qui me laisse sur le bord du chemin.

La séance de dédicace à la libraire locale « Au temps des livres » confirma combien l’oubli arrive vite. Bien rares furent ceux qui se souvenaient de mes parents, de la boutique et des histoires que j’aime à raconter. Je dis souvent qu’une ville, une région ou une nation sans histoire se meurent. Je crains qu’il n'en soit ainsi dans mon pays d’en-France.

Le rideau se referme. Il n’est plus temps de réveiller les vieux fantômes. Je vais bientôt les rejoindre, me perdre dans les limbes de l’oubli. C’est ainsi que va la vie, inexorablement vers une destination fatale. La sale défaite ou la salle des fêtes, la fin d’un spectacle qui n’aura jamais lieu. Il sera inutile d’applaudir l’artiste, c’était un gars qui a manqué son départ. Point de rappel pour lui, il n’avait qu’à pas quitter son village.

Désolement leur.

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