La soupe à la grimace

par C’est Nabum
samedi 19 septembre 2015

le brouet indigeste

La réunion …

 

Une association qui fonctionne à parts irrégulières entre bénévoles et salariés, élus et cadres n'est pas un long fleuve tranquille, d'autant plus quand son objet est de porter aide et secours à des gens qui sont en grande difficulté. Que cette aide passe par la préparation et le service de repas qui sont confectionnés grâce aux dons de la banque alimentaire et vous avez les ingrédients d'un menu qui peut être indigeste quand des tensions se font jour.

Nouvel arrivant, j'observe tout en apportant un regard neuf et distancié. C'est justement ce que je tentais de faire lors de cette fameuse réunion, redoutée par les uns, réclamée par d'autres, inutile pour quelques-uns, pas vraiment indispensable pour la majorité des participants. La critique est toujours la même : la fameuse réunionite est montrée du doigt ; elle a mauvaise réputation, surtout auprès de gens qui ne sont plus là pour se prendre la tête. Le bénévolat caritatif est sans doute bien éloigné des préoccupations de l'entreprise ou de l'administration.

Pourtant, bon gré, mal gré, chacun s'installe autour de la grande table afin d'en entreprendre le célèbre tour : celui qui habituellement ne se termine jamais ou finit en eau de boudin. C'est une règle à laquelle il convient de ne jamais déroger pour continuer d'entretenir le rejet de cette nécessaire pratique collective que chacun s'échine à rendre inopérante.

Les premiers à s'exprimer le font dans l'écoute de toute l'assemblée. Leurs interventions sont brèves et précises, techniques et dénuées de ressentiment. C'est encourageant, le miracle va-t-il avoir lieu ? Que nenni ! Déjà apparaissent des conversations parasites, des remarques hors de propos, des commentaires portant jugement sur l'intervention en cours. Ça me rassure ; je suis en pays de connaissance : rien de neuf sous le soleil.

Soudain, la réunion bascule, une longue intervention, bien trop longue d'ailleurs et qui aurait mérité une interruption pour sauver la séance, sombre dans le règlement de comptes. Pourtant tout avait bien commencé : l'intervenant posant de réels problèmes, des répartitions des compétences et des rôles au sein d'un ensemble vaste et complexe de statuts différents. La sincérité n'était pas non plus en cause, c'est le cœur qui parlait, avec une rare conviction. Mais d'un seul coup le sac à tristesse a débordé et la sortie de route était inévitable …

Il était trop tard pour reprendre la main : les mots qui blessent, les mots qui laissent des traces ont été prononcés. L'animateur ne pouvait que déplorer les dégâts ; il n'avait pas vu venir le point de rupture, c'était désormais trop tard. Maladroitement sans doute, j'ai voulu poser le problème en y mettant des mots distanciés, j'ai affirmé qu'ici se jouait la grande problématique des rapports d'autorités dans une association aussi complexe.

Le mot n'a pas été compris par tous. Il n'a pas voulu être perçu dans sa dimension fonctionnelle, dans l'imbroglio des statuts et des rôles, des postures et des fonctions. L'autorité n'est pas l'ordre mais bien la chaîne des consignes et des relations hiérarchiques : une notion qui passe mal dans une association mais une nécessité pour que celle-ci vive convenablement. Une ancienne a été outrée par ce mot, depuis elle me bat froid, j'aurai longtemps droit à la soupe à la grimace. Qu'importe, il fallait le dire et tant pis si les susceptibilités ne peuvent supporter le principe de réalité.

Le tour de table en a pris un sérieux coup. Les suivants eurent droit à la portion congrue. Le cœur n'y était plus. La réunion est tombée à plat ; la suite restera sur bien des estomacs. Il fallut faire bonne figure ensuite ; quelques réflexions cherchèrent à détendre l'atmosphère, a donner bien moins d'importance à la psycho-tragédie dérisoire que nous venions de vivre ; l'humour n'est pas ce qu'il y a de mieux partagé au monde, …

Ainsi va la vie d'une association : ce vaste et complexe conglomérat humain qu'il n'est jamais aisé de faire vivre sans anicroche ni heurt. Je vais continuer à observer ce joyeux microcosme, d'autant plus intensément qu'il porte bien des particularités dont celle de mêler, comme nulle part ailleurs, des âges, des motivations, des statuts, des origines et des cultures différents. La suite est prometteuse à moins que d'ici là, quelques bénévoles belliqueux ne m'aient mangé tout cru.

Indigestement leur.


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