Le devin du moulin
par C’est Nabum
samedi 5 février 2022
Porteur de blé et de présage.
Il fut un nom lointain le long de la belle Vallée du Cher où, si l'on n'avait pas de pactole, on en avait pas moins des idées. C'est ainsi qu'une famille se dit que tout en assurant la surveillance du trafic sur la rivière, elle pourrait tout aussi bien en profiter pour à défaut de faire son blé, le moudre pour son plus grand profit.
Ainsi, fort de ce curieux raisonnement, se bâtit en un lieu proche de Bléré, ville charmante dont le patronyme signifie « village près du pont », un moulin à nef fortifié pour que tourne la roue de la fortune. De l'aube jusqu'au soir la grand roue œuvrait pour que la meule broie broie les précieux grains. Il y avait donc un ballet incessant de convois muletiers afin que chacun lui confie sa récolte.
C'est un porteur de blé pas comme les autres qui arriva un beau matin, chevauchant son âne bâté tandis que derrière lui, à la queue leu-leu, suivaient des bourriques lourdement chargées. L'homme n'avait jamais été aperçu dans la région, chacun se demandant qui était cet escogriffe qui venait ainsi recourir au service du moulin.
Mais qu'importe qui il fut, il avait de quoi payer l'ouvrage. L'argent a toujours permis d'être introduit où bon vous semble. Celui-ci ne dérogea pas à la règle. On le reçut à bras ouverts, nous pour le saluer mais pour percevoir le montant du travail qu'il quémandait. Tandis que les grains de blé devenaient farine par la magie du mouvement complexe de la meule tournante aux rayons bien dessinés sur la meule dormante, l'inconnu se mit à tenir des propos énigmatiques qui restèrent dans l'esprit de tous ceux qui assistèrent à la scène, d'autant plus que ce curieux personnage s'en alla sans emporter le moindre sac de farine, laissant là ce qui constitua une manne pour le meunier.
L'homme dit juste avant de disparaître comme par enchantement : « Bientôt ici, le blé à plusieurs reprises viendra à manquer tandis qu'un coureur de jupon, passera en coup de vent, chassant pour une fois d'autres gibiers que les nobles dames. C'est pourquoi, ici se dressera une demeure majestueuse qui permettra à chacun, pour épater la galerie, de regarder ses dessous. Les femmes en seront les maîtresses et le Cher leur offrira le plus beau des écrins ! »
Nous étions en 1251. La chronique ne fit pas de place à ce visiteur, cependant ses propos résonnèrent longtemps dans la contrée sans que quiconque ne parvienne à en saisir le sens. La famille Marques, confiante en sa belle étoile et à la prophétie du devin, cessa de faire tourner la roue, pour jouir plus pleine de sa fortune. Le moulin ne fut plus qu'un lointain souvenir quand l'idée leur vint de bâtir un château à sa place.
Les travaux débutèrent en 1513 durant le règne d'un roi, coureur de jupon devant l'éternel. Est-ce ce qui entraîna le châtelain dans cette folie ou pour voir briller les beaux yeux de son épouse : la belle Katherine Briçonnet, toujours est-il que se dressa alors sur le Cher une première demeure princière, achevée de bâtir en 1521 après 8 ans de travaux qui ruinèrent le propriétaire. Le blé viendra à manquer avait prédit le visiteur, une première fois, sa parole se vérifia.
En 1547, le coureur de jupon abandonna quant à lui la partie après un règne qui restera dans les mémoires comme celui de la Renaissance et des arts. François premier parti, c'est Henri II qui lui succède. Il offre le château, tombé dans la domaine royal à sa favorite (encore une histoire de dessous) la sublime Diane de Poitiers.
L'eau n'a pas trop le temps de couler sous le château, le règne tourne court, la régente et mère d'une flopée de rois éphémères Catherine de Médicis, récupère le bien de la couronne en chassant l'intrigante. C'est à elle que nous devons cette fabuleuse galerie qui fera du Château de Chenonceau, un joyau à nul autre pareil.
Le temps passe, la demeure se plaît en compagnie des dames. Quoi de plus naturel pour un bâtiment gracile, élégant, délicat et mille autres qualificatifs qui en font une demeure de conte de fée. Louise de Lorraine en devient propriétaire. Louise Dupin prendra sa suite et ainsi, le temps ne cessant de dévider sa quenouille, le plus beau des châteaux tombera dans l'escarcelle de Madame Pelouze.
Il provoqua quelques faillites pour honorer la parole du devin. Il se montra impudique en offrant ses dessous à la contemplation de ceux qui naviguent sur le Cher. Il fait désormais la fortune de ses propriétaires, est l'un des monuments les plus visités de France et surtout fait la fierté des gens de la contrée. Ils ont bien raison, il n'est plus magnifique demeure et qu'importe si les rois l'ont boudée, les femmes quant à elles ne se sont jamais trompées, il n'est plus bel héritage du génie des bâtisseurs.
La roue tourne, le moulin n'est plus. Les conteurs prennent le relais pour raconter une histoire. Ne pensez pas qu'ils veuillent vous mettre le nez dans la farine, même si l'un d'eux, n'est qu'un âne bâté. Il ne fait que rapporter ce que le murmure du Cher lui a glissé à l'oreille, le temps d'une petite sieste le long de son cours.
À contre-temps.
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