Le minou qui croyait en avoir un
par Bernard Pinon
lundi 13 février 2012
La nature dans sa diversité
a parfois de drôles d’idées
laissez-moi vous conter l’histoire
du minou qui croyait en avoir…
Ma famille habitait alors à la périphérie d’une ville de province, dans un quartier construit en mangeant la campagne, où on trouvait encore une ferme avec des vaches. Chaque maison avait un jardin, potager ou ornemental selon le rang social. Et dans ce quartier vivaient des bandes de chats affranchis, pas vraiment sauvages mais juste rebelles, qui côtoyaient les humains en gardant leurs distances.
Contrairement à une idée reçue, le chat est un animal social. Les chats solitaires sont rares, ce sont souvent ceux qui se sont fait exclure de leur tribu. Le chat dont il est question ici faisait parti de ces parias car son comportement exaspérait autant les mâles que les femelles.
Il faut dire que ce chat, qui n’avait pas encore de nom, avait une différence avec ses congénères. Bien que né mâle, et plutôt bien pourvu par la nature, il était dans sa tête une minette. A la saison des amours, il tentait de séduire les autres chats, et se prenait des râteaux bien griffus. Lorsque les chattes mettaient bas, il leur volait leurs chatons et tentait de les faire téter, sans grand succès mais avec représailles. Cette différence lui valut qu’on l’affubla du sobriquet infâmant de Pupuce, diminutif de puceau, car jamais il ne connut l’amour.
Il n’était pas farouche, et appréciait nos caresses. Comme il était rejeté par les siens, il décida de se faire adopter. Mais il y avait un obstacle : le chien. Titan le mal nommé, une crème de berger allemand plutôt enclin à lécher la main des voleurs que de la mordre. Mais malgré sa gentillesse, Titan était un chien, et un chien ça chasse les chats, ça fait partie du forfait vie de chien. Mais pour cela, faut-il encore que le chat veuille bien courir.
Or ce chat là était peut être folle, mais pas idiot. Pour se faire accepter par le chien, il adopta la tactique bien féline des petits pas, sans reculer ni s’enfuir. Quand le chien essayait de le faire déguerpir, il se roulait en boule. Cela entraina chez le chien des abymes d’incompréhension, et il finit par renoncer à pratiquer son sport favori avec cet animal qui ne jouait pas le jeu. Et petit à petit, il se lia d’amitié pour le chat, au point qu’il lui laissait le fond de sa gamelle.
Le chat s’était fait un copain, et surtout un protecteur. Si un matou ou une minette voulait lui mettre une peignée, ce qui arrivait souvent car il n’avait pas renoncé à se trouver un amant ou une progéniture, le chien les coursait. Il fallait intervenir pour restituer les chatons kidnappés à leur mère naturelle.
Cela dura quelques années et puis un jour il disparut sans laisser de traces sinon dans nos mémoires. Mais je pense à lui lorsque je constate que s’il était né homme dans certaines régions du monde, il aurait peut être été mutilé ou pendu ; en matière d’intolérance, les hommes peuvent être pire que des chiens. J’espère qu’il a trouvé sa place au paradis des chats et qu’il me pardonnera mes vers de mirliton.
(photo de l’auteur, prise au début des années 70, du chat en question qui a vraiment existé)