Le miracle Guernica

par C’est Nabum
mercredi 26 juin 2013

En direct de ma Segpa

Les arts plastiques adoucissent les mœurs.

Il y a parfois des séances qui deviennent miraculeuses. Les élèves se prennent au jeu, entrent dans l'activité, trouvent un intérêt ou une émotion. Tous adhèrent et le travail prend alors une toute autre tournure. Plus besoin d'imposer la discipline, plus besoin de faire les gros yeux, de chercher le biais qui gagnera celui-ci, la contrainte qui forcera celle-là.

C'est ainsi que j'ai eu ce bonheur et que je l'ai renouvelé dans les autres classes pour juger si la magie opérait à tous les niveaux. J'ai même pris une classe qui ne m'est pas confiée, à la fois pour soulager des collègues au bout du rouleau et aussi pour mesurer cet étrange phénomène. Guernica, le tableau de Pablo Picasso est un chef d'œuvre, c'est sans doute ce qui explique à quel point il touche les élèves et leur donne les ailes de la création.

Bien sûr, l'habillage de l'activité est fondamental. Il faut trouver l'entrée qui fera d'un thème, une réussite ou bien un naufrage. En la circonstance, ce fut une remarquable vidéo réalisée par une classe de CM2 à Sydney qui servit de détonateur. Des informations, un ton, une approche trans-disciplinaire comme on dit dans les hautes sphères de la pédagogie de cabinet ministériel et le tour est joué.

Évidemment l'enseignant doit mouiller sa chemise, couper la vidéo, compléter l'information, éveiller la curiosité et la découverte, interroger et émouvoir. C'est là la dimension théâtrale d'un métier qui ne s'apprend pas dans les livres ou les universités mais bien sur le terrain.

Dans nos mallettes pédagogiques, il ne faut jamais oublier le nez rouge et un costume du tragédien pour explorer tous les rôles qu'il nous faut tenir chaque jour. C'est en oubliant cette dimension de l'implication scénique de l'enseignant que nos chers responsables ont ont mis des premiers de classe tristes et sans talent devant les élèves au lieu de comédiens curieux et humains.

Mais revenons à notre tableau. Tout le travail de réflexion autour de la vidéo a donné des ailes à nos jeunes créateurs. Ils ont interprété ensuite cette œuvre à leur manière, maladroite, enfantine mais sincère et émouvante. L'art de Picasso autorise la liberté d'un dessin imparfait, l'expression au delà des formes. Ils l'ont compris et se donnent sans retenue dans leur réalisation.

Certains ont demandé à refaire chez eux ce qui n'est plus un travail mais un plaisir. D'autres ont prolongé les séances, sont restés dans la classe alors que leurs camarades avaient terminé depuis bien longtemps. Le temps aboli, les contraintes de l'emploi du temps oubliées, la segmentation des séances repoussée. Évidement, on ne peut pas toujours se donner ces libertés. C'est pourtant en examinant de telles pistes que nous pouvons sauver notre école !

Guernica fut un bonheur. Ce sera une trace que je laisserai dans cet établissement que j'abandonne par dépit. Je n'ai pu obtenir la mise en accusation du responsable politique local qui a entériné une discrimination géographique insupportable. Les débiles à l'écart des enfants du centre ville. Cette forfaiture affreuse a eu lieu avec la complicité de tous nos chers représentants locaux toutes sensibilités confondues, il n'y a pas d'espoir de renverser cette infamie.

Guernica c'est un cri contre la barbarie, contre la violence injuste, contre le silence des témoins, contre le mépris des puissants. Il n'y a pas plus symbolique pour exprimer la situation de cette Segpa, repoussée loin de son collège de rattachement. C'est ma dernière offrande à ces gamins qui subiront encore longtemps une violence administrative totalement injuste.

Je devine que l'on va trouver fort exagéré ma comparaison. Elle n'est d'ailleurs pas raison. Elle s'impose à moi dans ce miracle de création qui s'est déroulé sous mes yeux. Pourquoi ont-ils tous été sensibles au thème de ce tableau ? Pourquoi ont-ils tous voulu exprimer à leur manière le refus de la violence et de la barbarie eux qui pourtant sont baignés d'un climat si peu serein ?

Je pose ces questions. J'ai peut-être tort. Je me fourvoie sans doute. Ce n'est certainement qu'une coïncidence ou bien l'expression spontanée d'une envie collective de création. Pourtant, je peux vous assurer que lorsque mes élèves ont présenté Guernica à l'épreuve d'histoire des arts, ils étaient intarissables et savaient tout par cœur. Une autre sérendipité sans signification …

 

Émerveillement mien.

 


Lire l'article complet, et les commentaires