Le photographe sautillant
par C’est Nabum
mercredi 18 décembre 2019
Fernand
Fernand, tout le monde le connaissait. Plus jeune, il avait été le serveur du grand restaurant que tenaient ses parents. Une étape gourmande, un hôtel réputé, un lieu qui faisait honneur à la réputation locale. Le Pont de Sologne était en ce temps-là, une adresse connue de tous. C’était aussi le domaine du fils de la maison, garçon à l’adresse diabolique, un plateau en main.
Fernand courait en tous sens, faisait des prodiges avec verres et bouteilles, plats et assiettes en équilibre instable. Il était alors en représentation, allant de ses petits pas endiablés, tenant à chacun de belles sornettes avant que de les servir avec un grand sourire. Il faut bien le dire, il n’avait pas toute sa tête, c’était bien là le problème mais qui donc aurait pu lui en tenir rigueur tant il était serviable ?
Monsieur Langumier parti pour un autre monde, le restaurant sans son chef périclita doucement. Madame Langumier se réfugia Boulevard du Champ de Foire à quelques pas de son Pont de Sologne qu’elle avait donné en legs à une association caritative. Fernand loin des clients fit de la ville son domaine. Il devint le coursier de qui avait quelque chose à lui demander.
Du matin au soir, il trottinait pour l’un pour l’autre, toujours disposé à rendre service pour tenir ensuite grande conversation à celui qui lui était redevable. Il n’était pas simple de suivre les méandres de sa pensée mais qui donc s’en serait ému ? Il était pardonné, il avait si bon cœur. Personnage incontournable de la ville, il était présent à toutes les manifestations, messes, enterrements, fêtes, cérémonies flanqué alors de son appareil photographique de grande valeur.
Madame sa mère disposait de revenus, elle avait de quoi acheter à ce fils qui jamais ne semblait vieillir, un matériel de qualité. Fernand, en dépit de son agitation et d’un comportement que d’aucuns trouveraient étrange, avait pour la photographie un don mystérieux. Il savait observer, prendre le temps, lui l’éternel agité, de se poser et d’attendre le moment opportun.
Un jour, la nouvelle tomba. L’éternel jeune homme était mort. Pour nous, il n’avait pas d’âge, la vie pourtant avait rattrapé ce petit Zébulon étrange aux propos pas toujours cohérents. Il allait retrouver sans nul doute, son restaurant d’antan, reprendre du service et jongler à nouveau avec les plateaux.
Je profite de cette évocation pour en appeler au hasard ou bien à la chance. Il doit bien exister un endroit où se trouve ce trésor sans valeur autre que celle de la nostalgie tous les négatifs de notre photographe méticuleux. Son amour immodéré pour le classement, l’ordre maniaque qu’il mettait à archiver ses photographies laissent espérer que surgisse du passé ce patrimoine égaré. Il y aurait là matière à une exposition Sully Autrefois par la lorgnette décalé d’un témoin à l’esprit évanescent. Ce serait là un fort bel hommage à lui rendre même s’il convient de ne pas dire de qui vient cette idée.
Photographiquement sien.