Le puits de l’Ange

par C’est Nabum
vendredi 26 juillet 2019

Le nom des rues de Beaugency

 

Il est des cités qui sont marquées durablement par le combat du bien et du mal. Quand on se targue d’avoir un magnifique pont médiéval datant du XII° siècle, construit l’espace d’une nuit par Satan en personne, il n’est pas surprenant ensuite que le fait religieux vienne troubler les esprits et les cœurs. Ajoutons encore que deux conciles y furent organisés afin de régler des envies de divorce pour nos roi de France : en en 1104 quand Philippe Ier fut sommé - sans succès - de se séparer de son épouse illégitime, la Belle Bertrade de Montfort puis en 1152 quand Louis VII Le Jeune obtint l'annulation de son mariage d'avec Aliénor d'Aquitaine. Nul d’ailleurs ne peut ignorer les conséquences désastreuses pour le pays de ce divorce douloureux.

Ajoutons naturellement les inévitables soubresauts qui déchirèrent Catholiques et Protestants, avec sièges, destructions et joyeux massacres à la clef tandis que le passage de Calvin, réclamant sa maille d’Or aux gens de la ville n’arrangea rien au climat. Vous comprendrez aisément que dès que l’on évoque Dieu à Beaugency, le diable est tapi dans l’ombre. Il convient donc en la matière de marcher sur des œufs.

Il était donc une fois une jeune femme, fort bien mise de sa personne, ayant tout pour attirer le regard et satisfaire à une discussion. Belle, vive, intelligente, Bertrade, quoique d’un milieu extrêmement modeste avait de quoi séduire les jeunes gens de bon goût. Mieux, elle était sérieuse en tout, avait le respect des conventions tout en suivant les préceptes de notre sainte mère, l’église catholique.

C’est alors qu’un 13 janvier, alors qu’un charmant étudiant d’Amiens, un huguenot de belle prestance, vint en la bonne ville de Beaugency, réclamer sa maille d’Or, selon une tradition ancestrale. Il obtint satisfaction et fort de cette fortune qui lui tombait du ciel, se mit à célébrer sa trop fugace prospérité dans des tavernes de la ville. Jacquelin oublia durant quelques jours la rigueur des réformés.

C’est ainsi que Bertrade et Jacquelin se croisèrent, se sourirent, se plurent alors que tout les séparait. Elle simple couseuse, lui étudiant promis à un emploi de clerc. Elle, fille des bords de Loire, lui le Picard qui s’en retournerait certainement chez lui, ses études achevées. Hélas, l’amour a des raisons que la raison ignore, ils étaient attirés l’un vers l’autre comme deux aimants de polarité inverse.

La petite catholique céda aux avances du protestant, émerveillée par sa joie de vivre, sa culture et sa manière si particulière de lui susurrer à l’oreille : « Tu es ma Sirène de Loire ! » Ce qu’ils firent alors, qui pourrait bien le leur reprocher ? La force des sentiments brise bien des conventions et des règles d’usage. Ils s’aimèrent, voilà tout, même si leur amour devait rester clandestin. Les berges de la Loire abritaient des ébats qui auraient horrifié voisins et bien pensants.

C’est au printemps que Jacquelin glissa une petite graine qui germa dans le délicieux réceptacle de sa Bertrade. Il n’en sut rien d’ailleurs car était venu pour lui le temps de s’en retourner chez lui, bardé d’un diplôme qui allait lui ouvrir de belles perspectives. Leurs adieux furent émouvants, brûlants, désespérés…

C’est quand le garçon était loin que Bertrade se rendit compte de son état. Elle était au désespoir car elle savait la pauvrette le sort qu’on réservait alors aux filles mères. Pour entacher plus encore sa faute, elle avait aimé un Huguenot, ces maudits réformés qui tourmentent tant les bons catholiques. Décidément, elle était dans de fort mauvais draps.

Elle cacha le plus possible son état avant qu’il ne finisse par devenir une évidence. Elle fut moquée, chassée de son atelier de couture, répudiée par les siens. Elle était désormais la proscrite, la maudite, celle qui n’a d’autres recours que de vivre de mendicité et d’expédients. Pauvre fleur qui à son premier bourgeon fanait de manière spectaculaire. Elle n’était plus que l’ombre de la belle jeune femme radieuse transfigurée par une passion qui causait désormais sa déchéance.

Pourtant Bertrade fut d’une admirable détermination. Elle supportait railleries et humiliations, bien décidée à mener sa grossesse à terme sans avoir recours aux herbes qui font passer les mauvaises surprises. Elle voulait élever son enfant en souvenir de son Jacquelin qu’elle avait tant aimé sans vraiment envisager la manière d’y parvenir.

Sa délivrance fut tout au contraire, une plongée en enfer. Ses conditions de vie étaient devenues si misérables que le pauvre chérubin, trop chétif, ne survécut que quelques heures. Bertrade au désespoir, voulut lui offrir au moins une sépulture digne de ce nom et les derniers sacrements afin que le Très Haut, l’accueille en son domaine.

Hélas, en cette époque lointaine, l’intolérance religieuse était déjà de mise. Le prêtre refusa l’extrême onction à l’enfant du pêché et de l’hérésie. Deux crimes impardonnables pour ce pauvre petit ange. Pire encore, l’accès au cimetière fut interdit à cet enfant sans religion, chassé pour l’éternité de la communauté chrétienne.

Pour Bertrade, c’en était trop. À la douleur atroce de la perte de son enfant, s’ajoutait l'ignominie des méchants, des pratiques et des croyances. Elle perdit l’envie de vivre et décida d’accompagner son enfant dans la mort. Tout juste remise de ses couches, la pauvrette s’habilla de blanc, prit son petit ange dans les bras et alla se jeter dans le puits le plus profond de la cité.

Quelques personnes assistèrent horrifiées à la scène sans hélas pouvoir intervenir. Bertrade avait choisi sa dernière heure et rien ne pouvait entraver une détermination sans égale. Les témoins se précipitèrent au puits, se penchèrent à la margelle, voulant sans doute sortir de ce profond trou les deux corps sans vie.

À leur grande surprise, ils ne virent rien sinon quelques plumes blanches qui volaient au vent. Stupéfaits, ils se signèrent, voyant une nouvelle manifestation de Satan. Dans le même temps, il se dit dans la ville qu’on avait vu dans la rue voisine, une jeune femme couverte de plumes, auréolée d’une lumière étrange, se rendre vers la Loire pour y plonger et disparaître. Beaucoup jurèrent qu’elle avait une queue de poisson et un enfant dans les mains.

Nous étions curieusement un 13 janvier, étrange clin d’œil du destin. Dans tout le val, en dépit de la saison, une odeur douce et entêtante s’imposa à tous. Jamais plus belle journée printanière n’était venue si tôt dans la saison de mémoire de balgencien. Curieusement, ce jour-là, de nouveaux étudiants d’Amiens vinrent réclamer leur Maille d’Or.

Troublés par ce qui venait de se passer dans la ville, les responsables de la cité refusèrent cette fois d’honorer le rituel. Nous étions en 1727, les étudiants lésés firent grand tapage et gros dégâts. Les notables n’eurent d’autres recours que d’honorer la tradition qui vivait sa dernière réalisation. Le drame de Bertrade avait démontré à tous que cette histoire n’avait que trop duré. À toute chose, malheur est bon, c’est du moins cette tragédie qui servit de prétexte à son interruption.

De ce jour maudit, la ville cependant hérita de trois nouvelles rues, histoire probablement de marquer les esprits, de transmettre le récit pour édifier les jeunes filles. Le Puits de l’Ange, la rue de la Sirène et celle de la Maille d’Or en portèrent longtemps témoignage avant que tout ceci sombre dans l’oubli.

Je me suis chargé de vous la rappeler afin que vous en tiriez à votre tour les leçons qui s’imposent. La plus importante à mes yeux, c’est de conserver les vieux noms de nos rues. Ils constituent un trésor précieux qu’il ne faudrait jamais galvauder pour honorer un personnage célèbre qui n’a rien à voir avec l’endroit. À Beaugency, ce souci demeure et c’est tant mieux.

Mémoriellement sien.

Mercredi 24 juillet

C’’Nabum

Estivales

Balade contée

Beaugency

Départ 19 H du Théâtre de verdure

 

Le programme est ici

 

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