Le retour de Triboulet

par C’est Nabum
lundi 22 février 2021

 

Méfiez-vous des imitations.

Nicolas Ferrial, les faits sont têtus, est né en 1479 à Blois et non dans la capitale régionale. C'était là sans aucun doute son premier trait d'humour. Il faut avouer que c'était là bien plus commode pour devenir le bouffon des rois Louis XII puis François Ier, qui, on se demande encore pourquoi, avaient élu domicile dans cette belle ville des bords de Loire. La vie de château sans doute y était plus agréable et les saillies du bouffon plus faciles à tolérer.

Bien vite surnommé le Fiévral par une simple déformation de son patronyme, le petit homme donna la fièvre et le rire jaune à ceux qu'il prenait de haut. La chose est remarquable quand on découvre qu'il était affublé d'un nanisme qui devait donner force et piquant à ses railleries incessantes. Les Grands d'hier comme ceux d'aujourd'hui ne goûtent guère aux persiflages qui émanent des misérables vermisseaux. Pourtant, ils tolèrent un bouffon pourvu qu'il soit difforme. La malfaçon devant sans doute écarter toute crédibilité pour ces esprits retors et hautains.

Triboulet fit des merveilles, parvenant à passer entre les gouttes en dépit de ces répliques cinglantes. Ses grimaces et son physique ingrat lui permettant d'échapper à la colère du dieu en place. Pourtant, tout adroit qu'il sut être tout au long de son brillant office, il finit par glisser, raillant le roi sur un sujet qu'il convenait de ne pas évoquer.

En échange de ses bonnes et royales farces, le bouffon de cour vivait de la munificence de celui dont il se gaussait. Il profitait des fêtes et des gobichonnades, tout en étant payé sur le fonds des Menus Plaisirs du Roy. Le grimacier ou rechigneur n’était pas qu’un simple amuseur à la démarche bondissante. Il était aussi un franc parleur, le seul à parler vrai dans cet univers de courtisans et de valets. Attaché au service du roi, il jouissait du privilège exclusif de dire à son maître ses quatre vérités sans en être inquiété et sans risquer de se faire châtier — pas même une petite plamussade  !

Cependant, François Ier en grand coureur de panier (le jupon n'ayant pas eu les honneurs de la garde-robe, le vertugadin mettant la chute de reins en évidence) avait une limite qu'il ne fallait pas franchir. Ignorant tout de la campagne « Touche pas à ton porc » il avait la main aussi baladeuse que leste. Il était en cela le digne grand-oncle du futur Henri IV.

Un jour, le roi goûta fort peu des allusions de l'humoriste visant les favorites ou la reine, qu'importe la saillie, elle relevait du domaine réservé. Tout bouffon qu'il était, le Triboulet allait subir le courroux royal. La tolérance dans la maison royale avait une limite sacrée, le bouffon venait de commettre l'irréparable.

En ce temps-là, on ne plaisantait pas avec l'offense faite à la majesté. Le crime était si grave que seule la peine capitale pouvait laver l'affront. Mais tout Prince qu'il était, François Ier n'en était pas moins humain. Il demanda à son bouffon de choisir la mort qu'il voulait subir. La réplique ne se fit pas attendre et comme dans les contes de sagesse, le condamné répliqua : « Bon sire, par sainte Nitouche et saint Pansard, patrons de la folie, je demande à mourir de vieillesse. »

Vous devinez aisément l'éclat de rire qui accompagna cette réplique qui sauva la tête du pitre mais ne lui épargna pas le bannissement. Le roi ne pouvait se permettre de perdre la face. Triboulet alla voir ailleurs si l'herbe était plus verte. Il cessa derechef de jouir des privilèges liés à sa fonction de tourmenteur officiel et unique du maître du pays.

À la cour, un autre bouffon prit sa place pour létifier un monarque qui avait par ailleurs les soucis de sa charge. C'est Brusquet qui prit la suite, il avait ordre de ne pas brusquer son employeur sur les sujets relatifs à la gaudriole. La fonction avait jusqu'alors disparu des allées du pouvoir. Il est vrai que la légitimité conférée par le vote des citoyens autorise encore moins la plaisanterie et la farce que le pouvoir héréditaire. Le sens de l'humour et plus encore celui de l'auto-dérision sont incompatibles avec la responsabilité des charges électives. C'est pourquoi je mets en garde le nouveau Triboulet qui s'aventure à se saisir d'un rôle qu'un Bonimenteur pensait tenir, qu'il doit suivre l'exemple de son glorieux ancêtre en évitant les sujets qui fâchent.

Bouffonnement sien.


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