Le tout à l’ego ligérien
par C’est Nabum
mercredi 7 mai 2014
Fable de l'avant
Histoire de la mener en bateau.
Il était une fois une jeune damoiselle qui se croyait inspirée de Dieu. Elle battait la campagne pour chasser l'Anglois de notre pays et se prénommait Jehanne comme vous devez vous en douter. L'histoire connut ses heures de gloire au bord de notre Loire et de déboires près de la Seine. Oublions ce fleuve tourmenté et revenons à notre fille Liger !
Un Bonimenteur ne recule devant aucune difficulté pour vous offrir votre content de menteries. Remonter le temps est parfois plus facile qu'aller à contre-courant. Profitant d'une brèche dans la quatrième dimension, je me suis rendu sur la rive gauche à quelques lieues en amont d'Orléans, un certain 29 avril 1429...
Il y a là grande presse autour de la donzelle. Elle n'est pas très contente, elle a le regard noir et des yeux de braise. Elle désire se rendre dans la bonne ville d'Orléans qu'un messager divin lui a demandé de délivrer. Les voies du Seigneur sont aussi complexes que celles des hommes. Pour éviter les vilains Anglois, la dame a dû faire long détour par la Sologne. À cette heure, elle est coincée sur l'autre rive d'un fleuve qu'il lui faut franchir.
Naïve et inspirée, elle se mit en tête de faire comme son modèle. Elle voulut traverser en marchant au-dessus des flots. Mais l'histoire ne se répète pas aussi aisément d'autant qu'elle portait une armure sur le dos. Les lois de la physique sont incontournables, même pour celle qui aspirait à la sainteté. Je dois à la vérité de vous avouer que je me mis en travers de son projet pour lui rappeler le principe d'Archimède et que sans moi, la jeune fille eût péri dans l'eau plutôt que sur le feu.
Mais laissons-là ces remarques liminaires, il fallait traverser pour rejoindre Chécy avant que de faire entrée triomphale dans sa future bonne ville. Jehanne était précédée d'une réputation flatteuse et devait assurer une logistique devenue urgente. Le peuple attendait celle qui venait éventuellement le délivrer mais surtout lui apporter grand ravitaillement. Le ventre a aussi des raisons que l'onction ignore.
Dans la ville assiégée, les mariniers décidèrent de voler à son secours. Ce furent ceux-là mêmes qui l'avaient croisée à Domrémy qui mirent les voiles en premier. Hélas, ce jour-là, le vent était contraire et sur le trajet, il fallait passer devant de méchants assiégeants. L'affaire était fort mal engagée. La postérité ne se gagne pas d'un simple claquement de doigts.
Sur la rive, Jehanne fut prise d'une terrible colère et le sieur Dunois, tout demi-frère du roi qu'il était, prit une soufflante comme on n'en vit pas souvent. La demoiselle pestait et tonnait contre cet idiot qui lui avait demandé de passer par la rive gauche. Une rivière était en travers de son chemin vers la gloire et les bateaux de secours ne pouvaient venir par la faute d'un vent défavorable.
Une sainte colère a toujours des effets bénéfiques. Les oreilles de Dunois sifflèrent tant et tant que le vent, d'un seul coup vira de bord. Les hagiographes affirment désormais que la Sainte en devenir avait fait belle et profonde prière pour faire tourner le vent. Je dois une fois encore à la vérité, puisque j'y étais, de rectifier la fable. C'est simplement sa colère qui en fut la cause.
Bien vite, les mariniers, toutes voiles dehors, remontèrent le courant pour déposer leurs mâts aux pieds de la pucelle. Sur leur chemin, ils allèrent si vite que les malheureux canonniers anglais furent incapables d'entraver cette belle armada. Jehanne était ravie de retrouver ces braves garçons qui lui avaient soufflé à l'oreille les prémices de son aventure. Elle monta sur leur bateau et se trouva transportée d'aise.
Après un repos bien mérité dans le manoir de Reuilly, Jehanne fit une entrée nocturne et néanmoins triomphale dans la cité encerclée et affamée. Les bateaux avaient apporté des vivres et du blé : c'était là le plus important pour les gens d'ici. Mais il n'y avait plus de place pour les troupes qui s'en retournèrent à Blois pour traverser le fleuve sur un pont ami. « Ça fera les pieds à ce Dunois, » s'exclama la dame toujours très fâchée !
La suite de l'aventure vous la connaissez tout aussi bien que moi. Dunois revint par la bonne rive, Jehanne alla au combat avec le feu sacré et un courage communicatif. Le 7 mai l'affaire semblait entendue, les Anglais défaits à Saint Loup se réfugiaient aux Tourelles et Jehanne, que rien n'arrêtait, voulut se lancer à leur poursuite.
Une fois encore, il lui fallait traverser la Loire. Mais là, célébrité oblige, il y eut terrible bataille d'egos pour savoir qui aurait l'honneur de transporter l'héroïne. Les chroniqueurs de l'époque et votre serviteur se pressaient sur la rive pour immortaliser la scène. Les plus grands mémorialistes de l'époque tendaient leurs plumes d'oie afin de ne pas perdre une miette de cette actualité brûlante.
La gloire rejaillirait immanquablement sur le capitaine qui aurait l'honneur de recevoir sur son bateau la guerrière céleste. Les mariniers perdirent la tête ; chacun aspirait à cette distinction suprême. C'était à qui prétendait être le meilleur marin, affirmait avoir le plus grand mât, se vantait de posséder la plus grande expérience, se réclamait de l'amitié du Prévôt de la ville.
J'assistai alors à une bataille navale qui me fit penser que la vanité n'a pas de frontières temporelles. Celui qui eut le privilège d'avancer son pont à la future Sainte se voyait en seigneur des eaux. Il se gonfla d'importance et fit bien des grimaces pour se faire remarquer de tous.
Ma faille temporelle se referma sur ce triste spectacle de l'orgueil des hommes. Depuis, à l'exception des guerres de religions et de l'occupation allemande, Orléans n'a jamais cessé de commémorer la damoiselle. Chaque année, depuis 1430, se renouvelle la bataille des egos ligériens. Pauvres mariniers d'aujourd'hui qui font autant de grimaces que leurs devanciers même si, pour des raisons inavouables, on célèbre cet exploit naval le premier mai. Mais avec Jehanne, l'histoire ne doit pas se plier qu'aux seules fantaisies d'un bonimenteur.
Un petit bain de siège refroidirait peut-être ces ardeurs absurdes. Et si, à l'occasion, il y avait quelques bulles dans l'eau, nous comprendrions aisément que celui qui s'est laissé aller à une humble flatulence a le lâcher de méthane plus haut que son séant ! Cette morale vaut, quelles que soient les époques, même quand on se prétend en odeur de sainteté !
Gloriolement leur.