Le vent de la discorde
par C’est Nabum
vendredi 14 octobre 2022
Souffler n'est pas jouer …
Depuis qu'il entendait ainsi les humains répéter « Souffler n'est pas jouer », un petit vent fripon voulut prendre sa part de plaisir et cesser de s'époumoner inutilement. Pourquoi devait-il toujours souffler le chaud et le froid, glisser dans l'oreille les leçons que le cancre n'avait pas apprises ou bien pousser de toutes ses forces les bateaux sur l'eau. Lui aussi avait le droit de s'amuser, de prendre du bon temps au lieu d'apporter souvent le mauvais temps sur un coup de tête.
Le vent voulait prendre ses aises, se laisser porter par le plaisir de ne rien faire, se la couler douce ou bien s'envoyer en l'air. Il en avait assez de tourner en rond dans de méchants cyclones, de soulever les jupes des filles, d’aviver les braises ou de déclencher la tempête. Il aspirait à reprendre son souffle en de paisibles distractions.
Il tourna ses regards vers le ciel, cherchant là une échappatoire, une manière de prendre de la hauteur sans rester terre à terre. Il vit passer un oiseau, libre comme l'air, planant sans le moindre effort. Il se dit qu'il pourrait bien agir de la sorte, se mit cette idée en tête au point qu'il se fit cerf-volant pour son plus grand plaisir.
Il lui fallut garder une attache, un lien avec la terre ferme pour ne pas disparaître à jamais. Il confia sa destinée à un enfant qui le tint par la bride. C'est alors qu'il découvrit qu'il avait le vertige, qu'il avait besoin de revenir vers le plancher des vaches. Il cessa de voler, éprouvant le besoin impérieux de tourner sa veste, de se sentir utile.
Le vent, là de voir l'eau tourner les roues des moulins dès l'aube, se dit qu'il pourrait lui aussi apporter sa contribution à l'industrie des humains. Le cerf-volant lui avait donné deux ailes, il lui en fallut quatre pour entraîner la meule, perchée fièrement sur son promontoire. Le vent avait acquis des lettres de noblesses, Daudet lui écrivit des contes quand un chevalier à la triste mine lui déclara la guerre. Il dut en rabattre pour échapper à la charge de ce curieux cavalier.
Le vent mis alors les voiles, pour changer d'air, partir sur l'océan, conquérir le monde et découvrir de nouvelles routes. Il avait lui-même en poupe, se glorifiant même de contribuer à des défis et des courses autour du monde. Il en eut même le souffle coupé, tant ces navigateurs battaient tous les records. Le vent était revenu dans la course.
Il voulut profiter de son succès pour éclairer un monde de plus en plus pale. Il se dressa sur ses ergots, en appela à son cher Éole pour faire tourner trois pâles au milieu de la plaine. Il toisait ainsi les habitations et les anciens moulins depuis longtemps inertes. Le vent fit couler beaucoup d'encre tant et si bien qu'il décida de s'installer sur des plateformes au milieu de l'Océan.
Une fois encore, il ne fit pas l'unanimité. Lui qui pourtant se montrait fort discret, il prit l'habitude de défigurer le paysage tout en martyrisant les oiseaux de passage. Il s'y prenait comme un manche à air. Personne ne l'avait mis au courant qu'il devait agir dans le respect de la nature. Le vent sortait de ses gongs, c'est toujours lui qui faisait s'envoler les chapeaux.
Il pensa arrêter son char quand justement on le pria de prendre en charge le transport de jeunes gens dans le vent chaussés de chaussures à crampons. Il s'étonna qu'on fît ainsi appel à ses compétences lui qui changeait parfois le cours des choses dans les rencontres sportives. Après avoir senti le vent du boulet, il se mettait à raviver la flamme olympique.
Le vent en eut assez de tout ce remue-ménage à son propos. Il en perdait la tête, il se coupa lui-même le sifflet, cessant dans l'instant de pousser son avantage plus loin. Le vent prit la poudre d'escampette, il fila à l'anglaise, siffla la fin de la partie. Instrument avant, il souhait dorénavant rester maître de son destin. Il pensait que c'était dans ses cordes. Le vent fit en sorte de mettre du gaz dans l'eau et souffla la discorde sur tous les humains. Il avait gagné la partie, le vent nous rendra fou.
À contre-vent.