Les amants de la Dordogne

par C’est Nabum
mardi 22 septembre 2015

Spécial Festival de Loire d'Orléans

La Dordogne, fleuve invité

Le vice et la vertu

Il est des histoires d'amour qui ont besoin de finir mal pour entrer dans la légende ; celle de Gisèle et de Guy n'échappe pas à la règle. Gisèle était la belle châtelaine du château de Sainte-Mondane, une forteresse qui se dressait alors sur une hauteur au-dessus de la Dordogne. Son époux, le sire Fénelon, ne semblait pas satisfaire la pauvrette qui trouvait bien plus de charme à son jeune page, le damoiseau Guy. Nous sommes dans les années 1140.

Gisèle- Yolande de Beynac avait épousé le Sire de Fénelon sans savoir que l'homme était un personnage violent, aimant par trop la chopine et toujours à la recherche de querelles. Soupe au lait et capable de tous les débordements, il avait bien vite rebuté son épouse qui trouvait que la conversation avec Guy de Vivans de Castelnaud était bien plus agréable que les sempiternelles jérémiades de celui qu'on lui avait imposé pour mari.

Un château n'est pas l'endroit idéal pour cacher ses amours, surtout quand on est la maîtresse des lieux. Les bruits de couloirs vont bon train : la domesticité est bavarde et fort curieuse ; la médisance des uns associée à la suspicion du mari trompé obligèrent nos deux tourtereaux à trouver un refuge plus discret pour ce délicieux péché auquel ils aimaient à se livrer.

Que Roger Vadim ait tourné en cet endroit son film, « Le vice et la vertu », inspiré de l'œuvre du marquis de Sade, prouve, si besoin était, que l'endroit est de nature à vous pousser à la concupiscence ou au libertinage. Gisèle fut sans doute victime de cette atmosphère volage, influencée par l'ambiance du Périgord noir et de la rivière Dordogne qui coule non loin de là.

Ne lui jetons pas la pierre : nul n'est maître de ses émotions même si la luronne avait choisi une bien curieuse cachette pour se livrer au plaisir avec son page. Ignorait-elle l'histoire de son nid sensuel ? Si possible, elle aurait, en dame prudente qu'elle était, privilégié une bulle moins chargée d'austérité et de rigueur. Il faut dire que nous étions alors en un siècle plus tranquille que celui de l'histoire précédente, lors de l'arrivée des Sarrasins sur les rives de la Dordogne.

Remontons plus encore le temps si vous le voulez bien : nous sommes dans les années 700, la dame Mondane a épousé un riche marchand de Bordeaux et lui a donné un fils : Sacerdos qui devint plus tard évêque de Limoges. Très tôt, Mondane et Laban, son époux, confièrent l'éducation de leur rejeton à l'évêque de Cahors qui se chargea de lui inculquer les préceptes de la vraie foi.

Sarcedos fut un bon élève au point qu'il se fit moine avant que de monter en grade et mena une vie exemplaire de pauvreté et de prières parsemée de miracles qui firent sa renommée. Sa mère, admirative et honteuse de son existence trop facile, décida de renoncer à toutes les richesses et à tous les plaisirs de ce monde. Elle demanda l'autorisation de quitter son mari pour embrasser une vie d'ermite dans une grotte . Mondane dormait à même la roche,se nourrissait d'herbes sauvages et buvait l'eau de la fontaine voisine. Une vie de renoncement absolu pour rendre grâce à Dieu de la sainteté de ce fils à la vie si exemplaire.

Mondane, devant toutes ces privations perdit la vue durant deux années sans pour autant cesser de vivre en recluse, démunie de tout. Elle recouvra l'usage de ses yeux lors des obsèques de son fils, assassiné par les barbares. C'est en touchant son tombeau que le miracle eut lieu. Elle retourna à sa caverne vivre dans ses macérations et ses prières avec d'autant plus d'énergie qu'elle était désormais touchée par la grâce divine. Elle fut, à son tour, massacrée par les Sarrasins le 7 mai 722, accédant elle aussi à la sainteté.

Vous l'aurez compris c'est dans cette sainte caverne sacrée que Gisèle et Guy osèrent se livrer à la débauche. Vous imaginez que le Ciel ne pouvait plus longtemps laisser ce blasphème impuni. C'est le mari trompé et humilié qui fut la main de Dieu. Un jour de plus grandes libations encore, l'homme déshonoré décida de se venger de la plus abominable des manières. Ivre, le sire Fénelon surgit dans la grotte où il surprit les amants. Fou de rage et d'alcool, il poignarda le page et s'enfuit, son forfait accompli.

Dans sa précipitation ou bien est-ce sous l'influence de la boisson ? le meurtrier glissa et tomba dans la Dordogne. Ainsi le méchant Fénelon disparut-il à jamais dans les profondeurs de la rivière qui devint son tombeau. Nul jamais ne le pleura : l'homme avait si mauvaise réputation que même son geste final ne trouva pas grâce devant ses sujets, y compris ceux qui avaient eux aussi à se plaindre de la fidélité de leur épouse.

Gisèle, ivre de douleur, pleura longtemps son Guy qui gisait dans ses bras. La frêle femme trouva cependant la force de porter le corps de son amoureux jusqu'à la Dordogne. Elle le déposa dans une barque, détacha l'embarcation sur laquelle elle s'installa également. Les deux amants filèrent alors au gré des flots, Gisèle veillant ainsi celui qu'elle aimait au-delà de tout.

La rivière était grosse, nous étions en avril. La barque allait à la dérive, soumise à la seule volonté de la Dordogne qui est bien tourmentée en ces parages. Gisèle acceptait son sort et c'est la rivière qui choisit sa fin. La barque chavira, sans doute contre un rocher et Gisèle rejoignit dans la mort son cher amant.

Si jamais on ne trouva trace du corps de Fénelon, des gabarriers retrouvèrent miraculeusement ceux des deux amants. La rivière les avait délicatement déposés sur la rive, côte à côte, unis et apaisés comme un signe de repentance envers le Très-Haut. Les bateliers mirent respectueusement en terre les deux dépouilles : l'histoire eût pu s'arrêter là si la légende ne s'était emparée de leur amour.

Il se murmure du côté de Mondane qu'à la mi-avril, au jour anniversaire de ce drame, deux apparitions surgissent de la grotte et descendent, main dans la main, vers la Dordogne. Là, les spectres s'agenouillent et prient pour la mémoire de celui qui causa leur malheur. Le vice et la vertu, vous dis-je, se mêlent intimement en cette étrange histoire. Il est bien difficile d'en tirer la moindre morale et c'est tant mieux.

Qui sommes-nous pour juger l'un ou bien les deux autres ? Il se pourrait même que Sainte Mondane en personne leur ait à tous octroyé son pardon. Quant à la Dordogne, elle continue de couler sans se soucier des histoires que les hommes aiment à inventer à son sujet. Nonobstant, elle a à se plaindre parfois de ce curieux fantôme qui erre à jamais le long de ses berges sans y trouver le repos. À l'entendre maugréer et jurer comme un charretier, on peut être certain que c'est Fénelon en quête du repos éternel.

Adultèrement leur.


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