Les plateformes expertes

par C’est Nabum
jeudi 20 octobre 2016

Funambules sur un fil brisé …

Notre époque ne cesse de fournir des occasions de s’extasier devant cet absurde, élevé au rang de principe fondateur de notre existence. Rien ne doit échapper à la maîtrise technologique et tout passe désormais sous contrôle. Le seul problème qui soit c’est que le prétendu contrôle perd les pédales et devient parfaitement incapable de mettre de l’ordre quand un grain de sable vient enrayer la belle mécanique.

J’ai le bonheur d’avoir eu maille à partir avec ces étranges serveurs à distances, ces grandes plateformes expertes qui vérifient, bien loin de chez vous, ce qui peut contrarier le petit service que vous avez payé chez un de ces grands opérateurs qui n’opèrent rien en définitive et ne font que subir les impondérables et les mystères d’un réseau qui échappe à toute logique.

Selon le désormais célèbre théorème du battement d’ailes du papillon, une succession de petits faits sans rapport les uns aux autres a provoqué une réaction en chaîne qui mit à rude épreuve une patience qui n’est pas ma vertu cardinale. Comme à toute chose, malheur est bon, j’en tire un récit qui ne servira qu’à me faire passer pour un fieffé imbécile auprès de mes chers contradicteurs patentés mais qui fera sans doute sourire ceux qui ont plus de mansuétude à mon égard.

Ce mardi-là, j’allais remplir ma bonne action hebdomadaire dans cette association caritative dont je vous parle fréquemment. Je m’y rendais en scooter ; n’étant pas assez courageux pour user d’un moyen de locomotion plus en rapport avec mes convictions. L’homme par essence est faible et le Bonimenteur plus que tout autre.

Je prends toujours la précaution de ranger mon blouson sous le siège de mon engin. Il y a quelques risques à laisser traîner des papiers dans un lieu où passent beaucoup de gens qui n’en ont pas. Il ne faut pas tenter le diable. Par réflexe idiot, je glissai mes clefs dans la veste qui se trouva ainsi prisonnière d’une selle que je venais de claquer. Plus moyen de récupérer mes affaires : j’étais fait comme un rat …

Je n’avais d’autre recours que d’attendre midi pour retourner chez moi afin de trouver porte ouverte et clef de secours. Je me mis donc au travail sans m’inquiéter plus que ça. Soudain, je vis arriver mon épouse qui était partie la première et avait laissé ses clefs à l’intérieur de la maison. L’affaire se corsait car mes clefs domiciliaires étaient, elles aussi, prises au piège …

Il ne nous restait plus qu’à trouver notre fils pour lui demander son double. Ce ne fut pas simple : il était en déplacement professionnel. Le principe de l’emmerdement maximal suivit alors son processus habituel, entre contrariété, énervement et impatience. Tout finit par rentrer dans l’ordre, c’est du moins ce que je pouvais espérer.

 

Hélas, quelqu’un sans doute m’avait jeté un sort. La malédiction des clefs levée, je rentrai chez moi pour découvrir que la box, cet étrange boîtier qui vous permet de recevoir téléphone, télévision et internet, était en panne. La chose peut paraître banale et il est certain que chaque jour, des milliers de clients connaissent pareil désagrément.

C’est alors qu’Ubu prend la direction de votre existence. Pour espérer une réparation, il faut signaler la panne par internet. Les esprits les plus raisonnables comprendront aisément que la chose n’est guère facile en pareille circonstance ; les rois du service après-vente ne semblent pas être de cet avis. Vous pouvez encore user d’un service téléphonique qui suppose lui aussi l’utilisation d’un téléphone, qui, c’est ballot, est en panne.

Comme il faut appeler ou intervenir de chez soi pour les vérifications à distance effectuées d’un lieu improbable et lointain, vous êtes bien ennuyé quand, comme c’est mon cas, vous ne disposez pas d’un téléphone portable. Voilà une hérésie qu’il faut payer au prix fort dans ce monde si relié !

Tant bien que mal, je finis par découvrir, après de longues manipulations imposées par un opérateur lointain, à l’accent incertain, que la panne ne peut se régler que par l’intervention d’un agent qu’il faut réclamer par internet. Retour à la case absurde. Fort heureusement, je dispose d’une clef 4 G chez un autre opérateur pour m'accompagner lors de mes aventures au long cours. Je peux donc prendre un rendez-vous qui exigeait une semaine d’attente …

Une semaine sans internet, vous devinez que pour moi, la chose était insupportable. Je me suis aisément passé de téléphone et de télévision, mais là, il ne faut pas exagérer. J’ai donc continué à exprimer mon assuétude quotidienne grâce à la clef de substitution qui ne tarda pas à épuiser son forfait. Nouvelle contrariété !

C’est donc chez monsieur SFR que je me rendis pour recharger cette clef qui était à bout de giga octets. Je pensais la chose aisée, je ne savais pas que pour faire le plein de flux internet il ne suffit pas de passer par la pompe à fric. Manifestement, la procédure s’avérait bien plus complexe que je ne l’imaginais. Une vendeuse, charmante au demeurant et d’une patience d’ange, découvrait elle aussi, que rien n’est facile dans cet univers si particulier.

Après bien des essais, des appels lointains, des mots de passe, des tours de passe-passe, je dus introduire une nouvelle carte SIM dans ma pauvre clef épuisée et naturellement cracher au bassinet. Le client est une vache à lait sur laquelle beaucoup de vautours font leur beurre. Après plus d’une heure de palabres, persuadé que j’avais obtenu satisfaction-la mise en service de ce forfait provisoire, exigeant quelques heures d’attente- je rentrai chez moi.

Je déchantai vite. La nouvelle puce se faisait tirer l’oreille elle demeurait sourde aux réseaux du monde entier. J’étais en carafe, coupé de mes chers lecteurs. Il me fallut donc retourner dans l’agence SFR. Chez l’autre opérateur, silence radio, le téléphone étant coupé. Cette fois, je trouvai un autre vendeur, pareillement disponible, patient et bienveillant. Hélas, lui non plus n’avait jamais rencontré pareil cas de figure.

Dans ce cas, ce sont des plateformes d’experts en expertise, qui viennent au secours de nos vendeurs. Je voyais bien qu’à l’autre bout du monde, on ne comprenait pas bien le problème. Il est vrai que la langue est un moyen fort commode pour expliquer une situation et que, quand celle-ci n’est pas maîtrisée, l’incompréhension flirte avec le dialogue de sourds.

À bouts d’arguments, le vendeur me confia son téléphone afin que j’explique moi-même la situation à une opératrice qui s’avéra être parfaitement incapable de me comprendre. Elle me lisait en boucle une procédure de mise en service d’une box parfaitement inappropriée à mon problème de clef 4 G. Je me désespérais ! Le vendeur reprit la main, exigeant un interlocuteur réellement compétent sur cette plateforme censée répondre aux difficultés techniques.

Sa demande tomba dans le vide sidéral. Nous étions entrés en relation avec un joyeux parterre d'incompétents à peine francophones. La société SFR fait des économies mais en agissant ainsi, elle met en difficulté ses vendeurs et ne rend pas le service qu’attendent les clients. Le vendeur s’arrachait les cheveux, lui voulait que mon problème fût résolu ; ce qui n’était manifestement pas le souci de nos interlocuteurs.

C’est alors qu’il raccrocha au nez d’un nouveau technicien aussi inutile que les précédents. Il décida de se débrouiller seul, essaya différentes procédures qui tenaient davantage du bricolage que de pratiques apprises en formation professionnelle. Il eut soudain une inspiration : il y avait un petit bouton sur le boîtier : il y pressa une pointe de stylo-bille et le miracle eut lieu. Nous venions de passer une heure en désespérantes conversations avec des guignols totalement incompétents.

Je pouvais rentrer. La box d’un opérateur qui ne mérite pas d’être nommé venait d’être changée après quinze jours de silence. Télévision et internet étaient revenus. Le téléphone restait quant à lui sans tonalité. Tout va bien, il y aura encore de quoi raconter une autre fois … Je vous laisse ; il me faut rentrer en contact avec de mystérieux et lointains interlocuteurs travaillant sur des plateformes sans aucune épaisseur …

Abracadabrantesquement leur.

 

 


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