Les vilains secrets du terroir
par olivier cabanel
vendredi 20 août 2010
La liste est longue, du savon de Marseille, à la porcelaine de Limoges, provenant parfois de Tunisie, au foie gras, et passant par la truffe de Chine, nombre de ces produits n’ont plus de français que le nom.
Prenons par exemple les champignons de Paris : Il y a longtemps que l’on ne les produit plus à Paris, (lien) et aujourd’hui les principaux producteurs de ce « champignon du terroir » viennent des Pays Bas, des USA, de Pologne, et surtout de Chine. lien
Le « champignon de Paris » n’est qu’un label, rien de plus.
En France, Il n’en pousse plus guère qu’à Saumur, ce qui ne représente que 12% de notre consommation.
Restons dans les champignons.
La truffe du Périgord est légitimement fière de son origine, pourtant, des vendeurs peu scrupuleux n’hésitent pas à la mélanger avec la truffe chinoise, moins parfumée, mais 80% moins chère. lien
La raison en est simple, nous en consommons 45 tonnes par an, notre production ne dépasse 25 tonnes, et puis, il n’y a pas de petits bénéfices.
Le fameux « Jambon d’Aoste » vient en principe d’Aoste en Italie, mais un petit malin, profitant de l’homonymie de sa petite ville iséroise, avec la ville italienne, en à profité pour lancer le Jambon d’Aoste. lien
Si ces deux villes, française et italienne, ont le même nom, c’est grâce au l’empereur Auguste, qui créa d’énormes garnisons dans ces 2 villes.
Bien sur, un procès eut lieu, donnant naturellement raison aux Italiens, et les producteurs français furent obligés de l’appeler « Jambon Aoste » au lieu de « Jambon d’Aoste ».
L’origine française est en toutes petites lettres, entretenant ainsi la confusion.
La marque a été achetée par « Cochonou, Justin Bridou », puis aujourd’hui par l’entreprise « Smithfield Foods Inc » qui fabrique industriellement. lien
La viande qui constitue ces jambons vient d’élevages en batterie américains ou chinois.
Le jambon d’Aoste (Italie) est un véritable produit du terroir italien, de très bonne qualité, provenant de la Vallée d’Aoste, et fabriqué en petite quantité. lien
Le Jambon Corse connait les mêmes malheurs puisqu’aujourd’hui, il est très complexe de faire la différence avec des produits réellement fabriqués avec des cochons corses, (lien) élevés en pleine nature, dont la nutrition est naturelle et biologique, et ceux qui sont fabriqués avec de la viande d’origine étrangère ou du continent, provenant d’élevages en batterie. lien
Pour ne pas tomber dans le piège, c’est quasiment mission impossible. lien
Il faut carrément enquêter. lien
Seuls les jambons issus de cochons de la race corse « Nustrale » méritent le respect du consommateur. lien
La moutarde peut légitimement monter au nez de ce dernier, car justement la fameuse « moutarde de Dijon », crée en 1336, n’est plus fabriquée à Dijon depuis le 31 décembre 2009. lien
A part sa fonction de condiment, elle était considérée chez les romains comme un bon conservateur alimentaire. lien
Dés le 18ème siècle, elle servait aussi à réaliser des cataplasmes considérés comme révulsif, afin de dégager un organe atteint de congestion ou d’inflammation.
La graine de moutarde, appelé sénevé, était à l’origine broyée avec du moût, puis du jus de raisin vert.
Ce nom « moutarde » vient d’ailleurs de l’expression « moult me tarde » qui est la devise de la ville de Dijon.
Comme l’appellation « moutarde de Dijon » n’est pas protégé, il suffit qu’un fabricant respecte une composition bien précise pour que le produit puisse se prétendre « de Dijon ». lien
Elle est produite un peu partout en France, dans toutes les régions à vigne, et même à Paris. lien et bien sur à l’étranger (Pologne, Turquie, république Tchèque…) depuis qu’Unilever a acheté « Amora Maille ».
Les graines de moutardes sont principalement importées, à 90%, du Canada. lien
On pourrait en faire tout un fromage, car justement, Marie Harel, originaire de la petite ville de Camembert, tenait son invention de l’Abbé Charles Jean Bonvoust, et n’a jamais protégé son célèbre fromage. lien
Raison pour laquelle le nom de « camembert » peut être utilisé par n’importe quel producteur.
Il existe bien, depuis 1983, une AOC « Camembert de Normandie » (lien) mais en utilisant le terme « Camembert fabriqué en Normandie », le producteur peut aussi bien utiliser du lait pasteurisé, et raccourcir le temps d’affinage, ce que ne permet pas le produit AOC.
Le tour est joué, et le consommateur aussi.
Restons dans le fromage :
L’Emmental (ou Emmenthal) vient en principe de la vallée de l’Emme, dans le canton de Berne, en Suisse.
Mais il est fabriqué aujourd’hui dans le monde entier, en Bretagne, mais aussi en Allemagne, en Autriche, au Danemark, aux Pays Bas, en Irlande, et même en Finlande. lien
Les Suisses ont déclenché une bataille juridique, sans résultat à ce jour, pour imposer une AOC, et leur unique victoire est due à la convention internationale de Stresa qui ne reconnait à l’Emmental aucune origine française.
Au grand dam des savoyards qui proposent leur « emmental savoyard » et qui ont même crée de l’emmental grand-cru label rouge. lien
Idem pour le Gruyère, fromage logiquement issu de la région suisse du même nom, et qui est aujourd’hui aussi fabriqué en France.
Pour le Gruyère, la Suisse a gagné, et la France a donc perdu l’AOC dont elle revendiquait l’exclusivité pour son gruyère français.
Bruxelles a en effet tranché : le gruyère français devra se contenter d’une IGP (indication géographique protégée) et le Gruyère Suisse est donc le seul à pouvoir revendiquer une AOC, qu’il avait obtenue en 2001. lien
Pour ne pas faire la confusion entre les deux produits, il suffit de savoir que l’authentique gruyère suisse n’a pas de trous.
Et si vous aimez la bonne fondue, je ne peux vous conseiller que celui là, en le mariant avec l’emmental suisse, le Beaufort savoyard, et le Comté Jurassien.
Les gourmands peuvent y ajouter du vacherin vaudois, ou fribourgeois. Lien
A quand une guerre entre la France et la Suisse pour une histoire de fromage ?
Car si le Beaufort est indéniablement savoyard, et le Comté Jurassien, ne faudrait-il pas rendre à César ce qui lui appartient, et à la Suisse ses fromages ?
Et pour découper ces excellents fromages, le couteau Laguiole est indispensable.
Ce couteau, dont la marque n’a jamais été protégée, permet qu’il soit fabriqué à Laguiole, aussi bien qu’en Chine, au Pakistan, ou Portugal, en Espagne, d’autant que certains couteliers de Laguiole les font fabriquer à Thiers. lien
De plus, l’acheteur fait souvent la confusion confondant la coutellerie qui fabrique le Laguiole de A jusqu’à Z, avec le fabricant qui ne fait qu’assembler les pièces détachées fabriquées ailleurs qu’à Laguiole. lien
La présence de l’abeille sur le manche du couteau n’en garanti ni la qualité, ni la provenance. lien
L’amateur devrait quand même au premier coup d’œil faire la différence entre un authentique Laguiole, et une imitation asiatique, (lien) l’idéal restant de se rendre à Laguiole, afin de vérifier l’authenticité du célèbre couteau. vidéo
Le Français est réputé comme mangeur de grenouilles, mais aussi d’escargots.
Le plus fameux, celui de Bourgogne, n’a de Bourgogne que le nom.
Une fois de plus, il n’a pas d’appellation contrôlée, ce qui permet toutes les origines.
Nous en consommons 30 000 tonnes tous les ans, mais nous en produisons seulement 1000 tonnes. lien
Les 90% de notre consommation viennent de Grèce ou d’Europe centrale.
Pour la France, ils viennent des Vosges, ou de Franche Comté.
Le melon Charentais (dit jaune charentais) n’est pas produit uniquement en Charente, ce qui est un comble, mais aussi dans le Sud Est, et le Centre Ouest. (lien) et plus étonnant en Espagne ou au Maroc. (melon charentais vert), ou même en extrême Orient.
La raison ? Autant le melon de Cavaillon a une appellation d’origine contrôlée, celui des Charente n’en a pas. lien
Et la célèbre galette bretonne ? Hélas, elle est plutôt Chinoise, Polonaise, ou Canadienne que Bretonne. lien
La raison en est simple : pour la fabriquer, il faut du sarrazin, appelé aussi blé noir.
Or nous en consommons 8000 tonnes, et la production française (4900 tonnes en 2008) ne permet pas de répondre à la demande.
Il serait pourtant simple de décider de protéger tous ces produits, en leur obtenant une AOC, et en augmentant notre production nationale, afin de rendre l’importation inutile.
Mais cela ne fera pas les affaires de tous, et le consommateur continuera de vivre sur son petit nuage, convaincu que son gruyère troué vient bien de Suisse, et que la truffe qu’il a acheté vient du Périgord.
La truffe n’est donc pas celle que l’on croit, car comme disait mon vieil ami africain :
« Aussi longtemps qu’il séjournera dans le fleuve, le tronc d’arbre ne deviendra jamais crocodile ».