Louis Mallet de Graville
par C’est Nabum
mardi 6 octobre 2015
Portrait
Le premier véritable Amiral
Il est parfois de curieux hasards, à moins que ce ne soit le destin qui s'amuse à jouer un tour à sa façon. Nous allions présenter notre spectacle à Tousson, près de Milly la Forêt et je m'interrogeais sur ma prochaine bonimenterie. Allais-je trouver un point commun entre cette région et notre Loire ou bien simplement l'histoire de la marine ? J'avais un doute …
Quand, soudain, surgit de son chapeau un merveilleux personnage qui allait enchanter ma soirée et servir de pont entre nos hôtes et mes sujets de prédilection. Louis Malet de Graville était le digne rejeton d'un compagnon de Jeanne d'Arc. Voilà déjà le plus certain moyen de se voir ouvrir des portes dans notre cité johannique et de plus, l'homme fut marin et même Amiral de France : il pouvait donc entrer dans notre panthéon des grands personnages.
Il eut maille à partie avec les Anglais, ce qui suffirait largement à me le rendre sympathique, mais de surcroît, leur administra si belle rouste qu'il mérite que je lui consacre un portrait. Il ne peut exister à mes yeux plus réjouissant titre de gloire dans notre histoire. C'est donc la tête haute que le Louis Malet, sire de Graville, pouvait prendre place ici. Mais comment le rattacher à nos charmants hôtes de Seine-et-Marne ?
L'homme fut également sire de Marcoussis ; cette période de Coupe du Monde de Rugby semble propice à réveiller le souvenir de celui qui commanda aux destinées de la commune qui accueille justement le centre technique national du Rugby français. Il fut également celui qui entreprit la reconstruction de Milly la Forêt après que cette commune eut été rasée par les maudits Anglois au XIV° siècle. Et , ce qui me le rendit sympathique entre tous : le bonhomme eut un gendre qui devint seigneur de Chaumont sur Loire.
Mais c'est son aventure d'Amiral de France qui mérite d'être contée. Avant lui, le titre était purement honorifique ; si une ordonnance de 1322 évoque un amiral de la mer, la France n'ayant pas de Marine digne de ce nom et se contentant de louer des navires étrangers, la charge était fictive. C'est notre homme qui profita de l'impulsion donnée au royaume par Charles VII ; l'expulsion définitive des Anglais du pays en 1457 (à l'exception de Calais) coïncida avec la constitution d'une véritable flotte de guerre.
Avant cette libération définitive, vers 1463, la Navale, sous les ordres du grand amiral Louis de Bourbon, comprenait quelques nefs : la Trésorière , la Bourbonnaise , la Magdeleine , la Jehannette , la Brunette et enfin la barquette Raoul-Péan , convenablement avitaillées et garnies de francs-archers pour combattre les navires anglais de l'amiral Warwick. On peut mesurer la faiblesse de cette flotte de guerre.
L'amiral, outre sa responsabilité sur les bateaux, disposait de quelques privilèges fort lucratifs. Tout d'abord les gages étaient très convenables : 10 000 livres tournois par an : de quoi voir venir et s'offrir, pour notre bon Louis Malet, le caprice d'une ménagerie de bêtes et d'oiseaux. Il bénéficiait aussi du privilège d'accorder ou de refuser tous les armements de navires marchands : cequi lui valut quelques dessous-de-table très importants. Il avait encore la charge de la capitainerie de nombreuses villes portuaires.
L'amiral devint fort riche alors qu'initialement, il avait été choisi parce qu'il avait le profil parfait de l'homme de paille pour Anne de Beaujeu, décideuse en la matière. La suite prouva à la dame qu'elle se trompait lourdement. Au terme de sa vie, notre cher amiral s'offrit le luxe de prêter une somme considérable au roi Louis XII en personne. Ce dernier lui promit le duché d'Orléans, promesse qu'il ne tint pas.
L'homme avait été trompé : il faut n'y voir que justice, lui dont l'ascension financière avait débuté par un acte de piraterie : en effet il s'était approprié les bénéfices de l'arraisonnement de quatre galères vénitiennes, attaquées par des Français en 1485. S'il était avisé pour les affaires, même si celle-ci naviguaient dans les eaux troubles de la prévarication, il sut aussi de montrer opportuniste en matière militaire. Il infligea une cinglante défaite à la flotte anglaise, associée alors aux Bretons.
Défaits une première fois à Saint-Aubin-du-Cormier, les Anglais continuaient à occuper la Bretagne. Au début de septembre 1490, l'amiral de Graville, avec une flotte de 25 navires, chassa Bizien de Kérousy qui occupait Brest. L'amiral avait réquisitionné des navires de charge sur les côtes normandes : la Marie de Cherbourg , la Madeleine de Cherbourg , la barque la Germaine , la Madeleine, la Madeleine de Dieppe , la Catherine de Dieppe , la Julienne , la Rose , le Courtault et la Nef d'Adien de Lospital. Sur ces vaisseaux on chargea des arbalètes et des traits, de l'artillerie et des lances à feu, entre autres armements, pour emporter cette première victoire d'importance sur la marine anglaise.
La cité maritime d'Honfleur était le port d'attache de la flotte de l'amiral. Louis de Graville se trouvait donc aussi gouverneur de la cité. Depuis le voyage de Colomb, l'Amérique retenait toute l'attention et la ville était célèbre pour l'excellence de ses pilotes. L'amiral Louis Malet de Graville, fort attaché aux aventures lointaines, gouverneur de la ville, fit faire une copie du récit du voyage de Marco Polo. Il favorisa l'essor de la flotte marchande et permit de nombreuses expéditions. Pour accompagner les marins lors de ces longs voyages, les célèbres biscuits de Honfleur furent élaborés à son initiative. Il fut notamment à l'origine d'une expédition au Brésil en 1504.
Notre homme termina sa carrière pour laisser place à son gendre, duc d'Amboise. Celui-ci eut l'indélicatesse de mourir, ce qui le contraignit à reprendre la charge et du service à l'âge de 73 ans. Il finit par mourir à la tâche : celle qui comptait le plus pour lui : s'enrichir démesurément. Il se fit enterrer dans l'église de Malesherbes qu'il avait fait construire à ses frais. Un tel personnage méritait bien de reposer en la maison de Dieu.
Voilà ce que j'avais à conter à mes hôtes de Tousson. Il est des aventures moins exaltantes que celle de notre ami Louis Malet de Gravile. L'homme sut mener sa barque, arriva aux affaires au bon moment, sentit le vent du large venir et surtout eut l'immense mérite de vaincre le maudit Anglais. Cela valait bien un petit hommage, même si je ne puis m'empêcher d'y laisser quelques zones d'ombres.
Amirablement sien.