MAM, DSK, BHL, ils ont tous un point commun
par Bernard Dugué
mercredi 17 février 2010
Aussi étrange que cela puisse paraître, une tendance nouvelle s’est faite jour depuis quelques années. Un fait d’une importance significative mais pas capitale. Un fait si ordinaire que nul sociologue ne s’est penché sur le destin des personnalités ayant ou bien un prénom composé, ou bien un patronyme composé. C’est le cas de FOG, alias Franz-Olivier Giesbert ou alors NKM, Nathalie Kosciusco-Morizet. Mais si FOB, NKM et MAM sont d’un usage assez limité, BHL et DSK sont des marques déposées ; devenues courantes dans l’expression médiatique. Faut-il encore préciser que l’usage linguistique impose de mentionner nom et prénom pour les personnes vivantes, alors qu’un mort n’a droit qu’à son nom, excepté en cas de confusion. C’est le cas de Max Weber, dont le nom est partagé avec un physicien et un célèbre musicien. Sinon, on parlera de Sevran pour désigner l’ancien animateur de télé alors qu’on doit dire Sylvie Vartan ou encore Jean-Marc Morandini ou enfin Patrick Poivre d’Arvor, PPDA ou bien PPD mais en ce cas, il s’agit de la célèbre marionnette des guignols. Etrangement, Jean-Marc Morandini n’a pas droit à son abréviation JMM. Certains disent tout simplement « chez Morandini », comme s’il s’agissait d’une enseigne de pizzas, à moins qu’on ne pense qu’il soit médiatiquement mort. Parmi les footballeurs, on se souvient de JPP, alors qu’un ancien PDG de Vivendi a eu droit nom pas à JMM, mais J2M, ce qui fait plus chic, J2M qui n’habite pas plus dans le 9-3 que dans le neuf-cube. Quant aux conventions, surtout ne prenez pas l’habitude de jouer avec les abréviations. JP2, ça peut désigner Jean-Paul 2, l’ancien pape mais aussi Jean-Pierre Pernaut, le pontifiant des terroirs et de la météo. Le présentateur du JT de la une, c’est JPP, qu’on ne peut pas confondre avec l’ancien footballeur dont plus personne ne parle.
Une requête sur Google, en utilisant des abréviations, montre à quel point elles sont entrées dans le vocabulaire. En tapant NKM la première occurrence concerne la ministre en question. Même chose pour BHL et DSK dont la requête permet d’accéder aux fiches wikipédia respectives du philosophe mal aimé et du directeur du FMI un peu trop aimant. Quant à MAM, pas de chance, sa fiche wikipédia arrive en second, derrière le musée d’art moderne de Paris. Et notre séducteur journaliste FOG n’a pas de chance, puisque son abréviation est un substantif anglais signifiant brouillard. Les mauvaises langues diront que son émission n’éclaircit pas les interventions des invités, laissant le téléspectateur dans sa brume quotidienne. Daniel Cohn-Bendit aurait pu aussi faire partir de la liste des abréviés, aux côtés du détesté agrégé qu’est BHL. Mais dans le langage usuel, tout le monde l’appelle Dany (sous-entendu, le rouge).
On se demandera à quand remonte cet usage des abréviations. N’est-ce pas notre ancien président, créateur de Vulcania, qui ouvrit le tir en se faisant appeler VGE à son corps défendant. C’est peut-être un signe de notre modernité où l’espace médiatique devenant de plus en plus restreint, on emploie des abréviations. Dans les années soixante, nul n’aurait osé parler de CLS, Claude Lévi-Strauss, ou de PMF, Pierre Mendès-France. Et maintenant, à l’heure du bougisme, de l’info qui buzze et du SMS qui fuzze, les abréviations sont amenées à se répandre, surtout quand elles résonnent avec des sigles connus. NKM rappelle KLM, la compagnie aérienne néerlandaise, maintenant rachetée par Air France. BHL, cela évoque DHL, le transporteur international et BHV, le bazar de l’hôtel de ville. Quant à VGE, il prend rarement le TGV.
Deux conditions doivent être réunies pour appartenir au cercle des abréviés. Il faut avoir une grande notoriété et une abréviation qui sonne agréablement, permettant une fluidité formelle dans l’expression. Prenons BRP, ça sonne bien, ça ressemble à VRP et donc, ça peut le faire, sauf que Bruno Roger-Petit n’est qu’une petite plume du Post, pas assez connu, même si Didier Porte en a fait le sujet d’une de ses chroniques corrosives chez l’ami Bern. Quant à la future star de l’X (je précise, polytechnique), une certaine Edith Denis-Franton, épargnez-là, on ne sait jamais, si elle devenait président de GDF, quelle histoire et quelle confusion, EDF dirige GDF !
Deux interprétations conclusives. D’abord la tendance à la familiarité et à cette fausse proximité, celle du tutoiement par exemple mais aussi celle de l’emploi de ces abréviations qu’on dirait des diminutifs à usage restreint dans une cour d’école. Et l’autre tendance à faire court quand c’est possible. BHL, MAM et NKM sont bons pour un usage en SMS ou sur Twitter. Je vous remercie pour avoir lu cette analyse qui ne m’ouvrira pas les portes du collège de France mais plutôt la sympathie des collègues du Net.