Où il est question de smartphones, de moteurs de recherche, de « verrues de glace », de honte et de mort de la curiosité

par Michael Gulaputih
mercredi 24 janvier 2018

Je suis sûr que vous avez tous connu un de ces moments de grande solitude si vous n'êtes pas né avec un smartphone dans la main. Je vous décris la scène.

C'est un lundi, à la pause déjeuner quelque part en France pendant l'été 2008. Avec un groupe de collègues vous sirotez sereinement un café à la terrasse du restaurant d'entreprise. La discussion porte sur la musique.

-Mais c'est quand déjà que les Stones ont fait un concert qui s'est mal passé aux States et où y'a eu des morts ?

-Ah oui c'était les Angels je sais pas quoi qui faisaient le service d'ordre...

-Ils ont embroché des spectateurs qui voulaient monter sur scène...

-C'était à Memphis...

-Non, Los Angeles...

Et là péremptoire car vous êtes un fan des Rolling Stones vous assenez :

-« Sympathy for the Devil » en 1969. Depuis ils n'ont plus jamais rejoué ce morceau en live.

Impressionné par votre savoir les autres se taisent et attendent la suite. Sous la pression vous vous creusez la cervelle : « Altamont ou Los Angeles ? ».

Et vous ajoutez (avec une assurance que vous ne possédez pas ) :

-C'était à Los Angeles.

Vous savourez votre minute de célébrité quand tout à coup une voix tranquille récite :

-C'était le 15 Décembre 1969 au festival d'Altamont, et c'étaient les Grateful Dead qui avaient suggéré aux Stones de prendre les Hells Angels comme service d'ordre. Et il n'y a eu qu'un mort.

Le geek fortuné de service (le premier Iphone « Edge » coûtait alors un bras) vous tend nonchalamment son Iphone avec la page Internet en question.

Le tandem Google-smartphone avait frappé ! Il vous avait même mis K.O debout. Certes vous n'étiez pas novice et cela faisait longtemps que vos enfants ne vous prenaient plus pour un puits de science grâce à « Google est votre ami » mais c'était la première fois qu'on vous cueillait comme ça à froid.

Depuis vous avez appris la leçon. En société, vous débutez vos affirmations par « il me semble » ou « j'ai lu quelque part mais je ne sais plus où » et vous finissez par « quelqu'un peut vérifier sur Internet ? ».

Puis on est passé à « Big Brother is watching you » et pour finir à « on te greffe un cerveau dans la main ».
 

Dimanche matin, 7 janvier 2018. Il est 8 heures. Le temps est clair et beau. Le thermomètre affiche -3 C°. Quand tout à coup mon regard est attiré par quelque chose de bizarre dans le jardin.

Sur la bâche agricole noire étendue dans le potager je vois que les petites flaques d'eau ont gelé. Normal vu la température et la saison. Moins normal ces petites excroissances qui s'en élèvent. Il y en a quatre.

Je sors vérifier. Et je vois un phénomène que je n'avais d'une part jamais observé auparavant et que d'autre part dont je n'avais jamais entendu parler. Ce n'est pas banal d'assister à mon âge vénérable à un phénomène physique non connu. J'habite en Allemagne du Nord certes mais je pensais avoir assisté à un peu tout ce que Dame Nature nous offrait comme curiosité météorologique.

Hé bien non.

Estomaqué par cette découverte je décide de profiter d'ycelle pour faire une « leçon de choses » avec mes enfants. Durant le petit déjeuner pris en famille je leur lâche la bombe. Tout le monde sort constater. Nous prenons des photos (avec des smartphones bien évidemment).

Vient le moment pédagogique. Je tiens une occasion unique mais vraiment unique de réaliser un brainstorming et de résoudre en famille un problème de physique. Car à ce moment je suis convaincu que c'en est un.

Je présente mon hypothèse. Les verrues de glace étant au centre d'une flaque de glace, il y a un cône de froid qui a attiré la condensation de l'air en son milieu. Ce qui a provoqué lentement mais sûrement la croissance d'une « verrue » à la façon d'un stalagmite.

Je fais l'erreur banale de me référer au phénomène « doigt de la mort » que j'ai découvert récemment dans un documentaire et de le transposer avec quelques adaptations à un phénomène qui me parait assez similaire.

Les enfants trouvent vite les failles de mon hypothèse : « d'où vient ce cône de froid ? ».

Le phénomène que je décris est lent et aérien alors « pourquoi il n'y a pas de bulles d'air emprisonnées dans ces verrues au lieu de ces espèces de « galeries de ver » faites d'air ? ».

Et plus percutant encore : « pourquoi y a-t-il une verrue qui a poussé en oblique ? »

Les arguments se tiennent et nous abandonnons cette conjecture.

Mon grand qui est étudiant veut émettre la sienne quand soudain le petit dernier -qui est en Première- nous dit que grâce à une recherche-photo sur Google il a trouvé d'autres images quasi identiques aux siennes. Commence alors un duel de smartphones entre les deux garçons pour savoir qui va trouver le plus vite la solution.

Je suis désespéré. D'accord, c'eut été incroyable de découvrir une curiosité météorologique inconnue de nos jours sous nos latitudes. Mais au moins aurions-nous pu essayer de trouver la solution par nous-même ou au minimum y réfléchir plus de 10 minutes. Et ce sont des minutes de petit déjeuner !

J'ai eu beau les exhorter à lâcher leur appareil du diable, l'émulation googlesque eut raison de leur raison.

C'était un dimanche matin. Il faisait beau et le soleil brillait. Pendant une demi-heure j'ai senti les souffles d'Edison, de Pierre et Marie Curie et de tous ces découvreurs par dessus mon épaule. J'ai tutoyé pendant quelques instants la sensation grisante de peut-être assister à un phénomène non encore homologué ou sinon d'au moins marcher dans les traces des ces prédécesseurs illustres via une démarche analytique.

L'association Google-smartphone a vite écourté mes velléités scientifiques.

J'ai eu par contre la satisfaction d'entendre mon grand me dire qu'au vu de la solution il regrettait de ne pas avoir réfléchi par lui-même et qu'il aurait sans doute pu la trouver tout seul.

Je ne vous donnerais la solution de ce phénomène météorologique -qui reste cependant rare- que si vous me le demandez !

Mieux : trouvez vous-même en moins de 5 minutes. Je vous aide pour le début : copier/coller d'une des photos sur un site de recherche d'images.

Encore mieux : rangez votre smartphone, votre ordinateur si vous en êtes capable et trouvez vous-même la réponse avant de regarder la solution en ligne ou de lire les commentaires !


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