Porte de Versailles
par C’est Nabum
mercredi 25 février 2015
L'avis des bêtes !
Curieuse récompense.
Depuis de nombreuses années, nos amis les animaux domestiques, ceux des fermes et des basses-cours ont pris l'habitude de se retrouver, une fois l'an, Porte de Versailles. Non, bien sûr, pas tous : cela serait impossible, mais les plus méritants et méritantes d'entre eux. Brossée de près, maquillée, ressemelée, le poil lustré ou les plumes amidonnées, la bête qui s'est illustrée dans sa province, a droit à une merveilleuse récompense.
À l'initiative de drôles d'oiseaux, l'élite des cheptels français, sans distinction de race ni de croyance, se retrouve en ce lieu pour un curieux spectacle : un défilé qui semble ne jamais passer de mode. Le fruit d'une année de labeur, d'engraissage obscur, de domestication productive, de prouesses intestines, leur offrira le privilège d'assister au plus surprenant défilé qui soit d'animaux politiques et de leurs suites serviles.
Il se murmure dans les étables et les poulaillers que, pour rien au monde, il ne faut manquer cette ronde des prétentions humaines : la transhumance des vanités électives. Les vaches, les cochons, les poules, les oies ont tout loisir d'admirer la suffisance de ces coqs prétentieux, la fatuité de quelques pouliches altières, la roublardise de gorets en goguette. Pas un ne déçoit nos amis les bêtes ; ils ont tous de quoi distraire l'œil de bœuf et la curiosité animale.
Les bêtes de foire arrivent, précédées d'un brouhaha immense. Un troupeau agité et souvent excité, encadre le chef de meute. Des chiens de berger, à moins qu'ils n'aient une tout autre fonction, encadrent la joyeuse bande. Ceux-là aboient moins qu'ils ne surveillent tous ceux qui voudraient sortir du rang ! Ils mordent parfois et sont prompts à réduire au silence celui qui pense autrement.
Les bêtes domestiques sont interloquées par le comportement de ces animaux si peu urbains malgré les apparences. Autour du mâle dominant ou de la femelle directrice, se pressent des nuées de mouches bourdonnantes portant micros ou appareils photographiques. Étrange cette faculté qu'ont ces bêtes-ci, à se marcher sur les pattes qu'elles protègent de curieux sabots, pas toujours des plus plats.
La nuée bouscule tout sur son passage, ne regarde rien de ce qui se passe à l'entour, à l'exception de l'animal de tête. Autour, des bêtes de seconde zone semblent suivre le mouvement sans intérêt ni enthousiasme. Elles sont là simplement pour se montrer et n'ont rien à dire ni à faire qui puisse préoccuper les insectes surexcités.
L'animal de tête a des comportements douteux. Parfois, il ou elle vient taper la croupe d'un cousin de province, flatter son encolure ou le caresser dans le sens du poil : une habitude professionnelle qui relève du réflexe conditionné, affirment les animaux qui ne viennent pas pour la première fois assister à ce spectacle désolant.
Il faut se méfier de leurs belles grimaces : elles sont cajoleuses tout autant que trompeuses. Des moutons ont payé pour le savoir, eux qui ont été tondus régulièrement par ces maudites bêtes cupides. La bête de tête tient alors de curieux discours, elle monte sur ses ergots, se gonfle d'une importance qu'elle n'aurait pas dans la ferme la plus ordinaire, et pérore sur l'agriculture nationale, le mérite des fermiers et l'excellence des animaux récompensés.
Les animaux en question s'interrogent sur la crédibilité d'un tel discoureur, incapable de distinguer un âne d'un baudet-un refus de se regarder dans une glace sans doute-qui ne voit dans les bovins que des vaches à traire et dans les gallinacés que des poules aux œufs d'or pour le commerce extérieur.
Le chef du troupeau poursuit sa route ; son troupeau le suit à la trace. Plus le meneur est bête, plus ils est entouré d'admirateurs et de serviteurs. Curieusement, malgré l'absence de paille et de fumier à leurs pieds, une étrange odeur persiste après leur passage. Une odeur de soufre et d'hypocrisie, d'oseille et de carottes cuites …
Les animaux dans leurs enclos se disent qu'ils sont bien payés d'une telle découverte. Ainsi ce sont cela ces bêtes immondes qu'on nomment les humains, ces bipèdes arrogants qui exigent leur sacrifice ? Quand ils décryptent le comportement des chefs de meute, ils peuvent s'interroger sur celui de tous les autres. Heureusement, passés les troupeaux officiels, les groupes importants qui viennent se montrer, arrivent ensuite des enfants qui ont un regard plus chaleureux, moins bovin que ces hommes et femmes politiques qui visitent le salon pour se faire voir et entendre.
Quand ils rentreront dans leurs provinces respectives, les animaux de foire diront qu'il n'est rien à espérer de ceux qui nous gouvernent. Ils auront bien raison ; les salons de l'agriculture se suivent et les discours demeurent. La basse-cour des vanités ferait mieux de passer par-dessus les enclos ; ce sont nos gouvernants les bêtes curieuses et non celles qu'ils sont censés venir observer.
Anthropomorphiquement leur.