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par C’est Nabum
vendredi 17 avril 2015

Paris-Orléans, comme si vous y étiez !

Un voyage électrique !

Vous qui aimez les sensations fortes, les aventures extraordinaires, les situations qui vous permettent de briller à table en narrant vos malheurs, vous devriez prendre un peu plus souvent la ligne de train de Paris à Orléans. Cette ligne a beau être l'une des doyennes des voies ferrées de notre pays, elle a le malheur d'être tombée dans l'anonymat et l'indigence, faute d'héberger le TGV, cette seule formule qui mobilise toutes les attentions du service public de transport.

Malheur à ceux qui veulent prendre un TER ou bien un humble tacot qui fait toutes les gares : rien n'est désormais garanti pour ceux qui sont les délaissés du rail. Si vous n'en croyez rien, écoutez bien l'aventure ferrée qui m'a été confiée par une voyageuse ordinaire. Tous les détails sont dus au téléphone portable d'une pauvre naufragée de la redoutable ligne négligée.

Le départ, ce mercredi 15 avril 2015 était prévu à 18 h 37 de la gare d'Austerlitz. Un train long comme un jour sans pain doit conduire aux Aubrais, à Blois et Tours des passagers ayant le souci de ne pas venir à la capitale en voiture. Une option citoyenne et écologique qui ne sera pas couronnée de succès. Hélas, l’État n'a plus les moyens d'entretenir les infrastructures et le matériel roulant …

Le départ effectif a lieu à 18 h 46, un léger retard qui atteste que l'exactitude n'est plus l'apanage de la maison. L'arrivée est prévue en gare de Fleury-les-Aubrais à 19 h 34. Mais il y a loin des prévisions au réel dans ce beau pays. Il n'est qu'à voir ce que deviennent les promesses que nous fait le personnel politique.

À 19 h 41, le convoi est immobilisé en rase campagne. La Beauce pour unique décor et des rails de chaque côté de ce géant à l'arrêt. Nous sommes entre Étampes et Toury au milieu de nulle part. Le haut-parleur crachote alors une information évasive : « Notre convoi rencontre un petit problème, il devrait repartir d'ici un petit quart d'heure ! »

À 19 h 45, un nouveau message vient semer le trouble parmi les habitués de la ligne (ils sont nombreux et hélas, souvent mal récompensés de leur fidélité). « Nous connaissons un problème d'alimentation électrique. Nous devrions y remédier rapidement … ! » Cette fois, l'information est inquiétante pour qui a l'expérience de la chose : « Ça va durer une à deux heures cette histoire ! », s'exclame à haute voix un abonné ...

 

Qui dit panne électrique suppose arrêt de la sono, de l'air climatisé, de l'usage des WC. Pour le malheur des passagers pris en otage, il fait une chaleur estivale et ils étouffent dans ces voitures fermées. 20 h 19, on vient d'ouvrir enfin les fenêtres ; un peu d'air ne fait pas de mal. Un seul contrôleur dans ce long convoi ; il ne dispose que d'un modeste téléphone pour obtenir des informations qu'il transmet de son mieux

20 h 25, l'homme au poinçon prévient qu'une locomotive est en route pour venir à notre secours. Il serait question d'un délai d'une heure. L'homme manie le conditionnel avec une étonnante facilité : une déformation professionnelle sans doute. Heureusement, dans la voiture, les passagers demeurent stoïques. Un couple est accompagné de ses deux petites filles de 4 et 5 ans qui resteront adorables jusqu'au bout. Quelle chance !

La nuit tombe sur les naufragés du rail. Les veilleuses donnent une lumière blafarde. Qu'importe, le livre de notre voyageuse est terminé, il ne lui reste plus qu'à échanger des textos avec ceux qui sont encore libres de leurs mouvements. Car dans le convoi, il est interdit de sortir : des trains circulent de chaque côté.

21 h 15, le pauvre contrôleur qui n'a contrôlé aucun billet, annonce qu'une locomotive devrait arriver d'ici quinze minutes. Les passagers pensent voir le bout du tunnel. Curieusement, le calme continue de régner dans les voitures. Nulle agressivité ne se fait sentir. De nombreux passagers suivent les informations par la toile qui en sait plus que les gens pris au piège. Twitter estime que le convoi va redémarrer à 22 h 48 ; il est 22 h 50 ; la source de ce réseau social n'est pas de première main.

De gros bras de la SNCF font leur apparition. Ils traversent les voitures ; ils sont là pour empêcher les cochons de payants de manifester le moindre mécontentement. On ne sait jamais : il pourrait y avoir une révolte des clients mécontents. Il y aurait de quoi puisqu'à 00 h 27 il ne se passe toujours rien de nouveau.

C'est à ce moment qu'un petit groupe de gens excédés veut descendre et occuper les voies. Ils repartent à 6 heures pour travailler à Paris. Ils sont à bout de patience d'autant que pour eux, les désagréments, les retards, le mépris sont leur lot commun. Le contrôleur parvient à leur faire entendre raison.

Une demi-heure plus tôt, une rumeur a annoncé l'arrivée d'une locomotive. Une fausse nouvelle une fois encore. Il faut attendre et ne vivre que de rumeurs. Dans le train, personne ne sait rien, pas plus le pauvre contrôleur que les passagers. Enfin, vers minuit trente, une locomotive arrive en queue de convoi pour venir pousser ce très long convoi.

Bien vite il faut déchanter. Le raccordement se fait très mal. Il y a des problèmes. Sur le bord des voies, les passagers aperçoivent d'autres gros bras et quelques gendarmes. Ces gens sont là pour empêcher toute évasion. Aucun d'eux ne viendra rassurer ceux qui sont maintenant sous surveillance musclée.

Minuit quarante, le train s'ébranle. La machine de secours a bien du mal à pousser ce monstre. Le train avance à l'allure d'une tortue. Il est 01 h 11 quand la gare de Toury est traversée au pas. Orléans est encore loin, Tours est au bout du monde … d'autant qu'à 01 h 13, un nouvel arrêt sème la consternation.

Les passagers se trompent, c'est la fin du cauchemar. L'électricité est revenue. La machine de secours est décrochée et le train reprend son train-train ordinaire. C'est à 01 h 45 que s'effectue l'entrée triomphale en gare des Aubrais. Là, des taxis et un bus SNCF attendent les voyageurs qui veulent se rendre à Orléans. Il n'y a plus de tramway à cette heure...

Des voyageurs poursuivent leur route vers Blois et Tours. Il semble que des plateaux repas et des boissons leur sont fournis. Notre voyageuse descend, elle est dans la voiture de queue. Quand elle sort de la gare, il n'y a plus de taxi. Des gens sont encore en rade. Elle va prendre sa voiture pour rentrer chez elle. Elle y sera à 02 h 31 et elle travaille dans quelques heures. Merci la SNCF !

Ne croyez pas que ce récit soit exceptionnel. Cette ligne est sinistrée. Pourtant elle est empruntée par 4 000 à 5 000 passagers chaque jour. Mais quand on n'a pas la chance d'être desservi par le TGV, on devient quantité méprisable dans cet étrange service public. Les passagers rempliront une demande de remboursement dans une enveloppe qu'on leur a remise à l'arrivée.

Ça ne va pas être simple. Plus personne ne paie la même chose. C'est la nouvelle politique tarifaire de ces marchands de voyage. Ce n'est pas la conception que j'ai d'un tel service qui devrait être transparent et fiable. Mais à l'heure d'une révolution écologique qui ne se fera jamais dans notre pays, le train c'est sans doute dépassé ; c'est certainement abandonné !

Immobilement leur.


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