Quand on se tue à ne pas dire « Tu »
par C’est Nabum
lundi 28 août 2017
La langue pâteuse !
Il est sans doute un pronom personnel qui provoque tourments et inquiétudes. Pour les uns, il est le seul connu et provoque irritation et agacement quand un étranger en mal d’usage des codes sociaux en use devant une personne qui se drape dans son importance alors que pour beaucoup d’autres, il se dérobe, se refuse à une expression simplifiée et bon-enfant des rapports sociaux. Je sais que certains vont s’étonner de cette défense et illustration du « Tu » quand je m'escrime à vouvoyer mes correspondants. C’est que je tiens le « Vous » pour le pronom de l’écrit quand le « Tu » demeure à jamais celui de l’oral.
Ainsi donc « Tu » n’est pas en odeur de sainteté dans certains milieux qui ont la bouche encombrée dès qu’il s’agit d’emprunter son substitut de correction. Puisque la seconde personne se fait si compliquée, autant alors emprunter d’autres voies pour s’adresser à ce quidam inconnu qui se trouve face à vous. La stratégie de l’évitement en somme, pour un usage décalé de la conjugaison.
Comme dans pareil cas, on est toujours le « On » de quelqu’un, c’est ainsi qu’on s’adresse à vous, vous transformant en généralité singulière. Il n’est pas toujours aisé de saisir que cette manière de vous apostropher ne s’adresse qu’à vous, puisque ce « On » si mal commode, n’est pas neutre. Beaucoup l’envisagent pluriel et s’englobent dans la phrase, se pensent partenaires de la locution ce qui n’est pas le cas quand il se substitue à ce « Tu » qui dérange. « On est content de sa coupe ! » me souffla la jeune coiffeuse qui non seulement m’avait coupé les cheveux en quatre mais défrisait dans le même temps la langue française.
Plus distancié que son compère de personne, le « Il » ou bien son double féminin se plaît à faire les marchés. Les gens de la ruralité auraient-ils complexe encore à s’adresser aux citadins si peu urbains ? Il est possible de s’interroger sur les ressorts qui font qu’une génération encore de nos vendeurs de légumes usent de ce pronom qui à chaque fois me donne l’impression d’être un autre. « Il aurait de la monnaie ? » Je me retourne pour chercher quel est cet autre qui devrait venir à mon secours et ne découvre personne.
Je ne devrais pas me plaindre car il se peut que mon interlocuteur achève de me dépersonnaliser en me gratifiant du redoutable « petit monsieur » final qui vaut tous les points d'exclamation du monde. Je remplis mon panier et me sauve bien vite me demandant quand j’aurai enfin brisé la glace avec ce brave commerçant.
Pour d’autres, la farandole des usages conduit à la première personne du pluriel avec un « Nous » qui n’englobe nullement celui qui parle. La surprise est grande à la première réplique. Votre vis à vis veut vous donner de l’importance certes mais se refuse à ce « Vous » de majesté qui lui écorche la langue. « Nous voulons autre chose ? » C’est sans doute parce que le client est roi que ce « Nous » est employé ici mal à propos.
D’autres évitent soigneusement de vous nommer. La circonlocution est alors la règle, l’usage de l’apostrophe nominale prohibé. L’objet convoité devient sujet. « Elle est belle ma salade » dira celui qui ne peut vous interroger directement au risque sans doute de vous défriser. C’est certainement une noble préoccupation en matière potagère.
Faire son marché ou bien se rendre dans un commerce est alors une aventure pronominale. Le badaud ne sait jamais à quelle personne il sera mangé, si son interlocuteur fera de lui un être singulier ou bien un élément neutre et incertain. Il peut se faire plusieurs et dans pareil cas, il se demandera qui paiera la note.
Je vous laisse à ces réflexions qui n'intéressent personne. De vous à moi, je me tue à remplir une page de considérations oiseuses. On se moque bien de tout ça me diront les adeptes de la créolisation de la langue. C’est ainsi que l’anglais simplifie grandement le problème en se privant de distinguer le « Tu » du « Vous ».
Tutoiement mien.