Requiem en raie plein coeur pour Steve Irwin
par LM
mercredi 6 septembre 2006
L’Australie pleure son casse-cou préféré : Steve Irwin, amadoueur de toutes les faunes, s’est fait planter par une raie, comme une vulgaire daurade. Une fin en queue de poisson.
Il y a des morts, comme ça, qui vous laissent pantois. De ces êtres qu’on n’imaginait même pas mourir un jour, et dont on n’imaginait pas une seconde dresser l’éloge funèbre. Steve Irwin était de ceux-là. Né en 1962, cet Australien, surnommé crocodile hunter, était le héros de quelques reportages animaliers pas piqués des vers. En effet, là où d’habitude le commun des mortels prête sa voix off aux gesticulations des fauves, aux ondulations des serpents ou aux rires de la hyène, Steve Irwin, lui, affrontait les bêtes sur leur propre terrain, sans (filer) filets. Il se jetait, littéralement, dans la gueule du loup. De tous les loups. A dents, à plumes, à poils, à écailles, de tous les loups, les plus féroces de préférence. Il fallait le voir embrasser un varan, rouler des pelles à un crocodile ou exciter un serpent agressif et mortel, titiller une araignée velue (et mortelle), le tout en nous expliquant que ladite bestiole, là, commençait à s’énerver et qu’il avait peut-être intérêt à déguerpir vite fait.
Irwin ne faisait pas dans la bravoure, mais dans l’amusement. Il prenait visiblement plaisir à affronter les monstres, à mettre sa vie en jeu, à se faire peur devant les caméras. Il était, comme certaines de ses « proies » d’ailleurs, très identifiable à ses gloussements exagérés, ses « houps ! » mi-amusés, mi-affolés, son accent de là-bas, et ses bermudas tous crottés à force d’user le sol, la terre rouge, ou ocre, ou le sablesable de ces contrées qu’on dit hostiles.
Irwin était tombé dans la potion animalière tout petit, fréquentant les crocodiles dans un parc animalier (Queensland reptile and fauna, merci Wikipedia) dès l’âge de neuf ans. Ses parents étaient à l’origine de sa passion. Cet allumé généreux et limite inconscient avait un bébé, qu’il avait exhibé un jour sur une photo célèbre et polémique, le tenant à bout de bras tout en nourrissant un crocodile peu amical. Ce n’était pas un demi-sel que cet Australien-là, plutôt du genre casse-(couille) cou, plutôt du genre à regarder les fauves dans le blanc des yeux, juste à la limite de ce qui est faisable, juste à la limite de ce que l’homme peut oser. Il avait connu la gloire mondiale en apparaissant dans le show de Jay Leno, aux USA, autre contrée de grands fauves s’il en est.
Le 4 septembre, Irwin a trouvé son maître, est mort le cœur transpercé par le dard d’une raie pastenague ! Ca ne s’invente pas ! Se sentant menacée par l’olibrius, la raie a planté son dard dans la poitrine australienne, en plein cœur, et l’équipe de tournage, qui a filmé la scène, n’a pas eu le temps d’intervenir. Irwin est mort comme il avait vécu, un peu n’importe comment, pas entre la poire et le fromage, les dents sur la table de nuit et les cheveux sur la coiffeuse, mais à quelques mètres de profondeur, piégé par un poisson plat comme une limande, enfin comme une raie, qui l’a cloué au sol, définitivement.
L’Australie parle aujourd’hui de funérailles nationales, et des dizaines de « fans » sont déjà venus porter des fleurs, des messages de sympathie, quelques offrandes, aux portes du Parc d’Irwin. Leur Lady Di à eux, mieux mort quand même que la presque reine broyée dans une berline conduite par un chauffeur bourré. Irwin ne s’est pas éteint comme « une bougie dans le vent », et Elton John n’aura pas besoin de sortir son piano, non, il est mort comme un alligator claque sa mâchoire, d’un coup d’un seul, à la sauvage, loin des civilités, sans mesquinerie, comme on éventre les baleines. La plus belle fin possible pour ce trompe-la-mort hors norme, sorte de Maïté du monde sauvage, capable de passer vingt minutes entouré de bestioles quasi préhistoriques qui n’avaient comme seule occupation que bouffer et dormir et qui devaient dans leurs petites têtes de férocité se demander ce que ce drôle d’humain pouvait bien avoir à gesticuler ainsi sous leur nez, à portée de mâchoires.
Steve Irwin est mort, éperonné par un animal plus effrayé que lui. Il y a dans sa disparition une sauvagerie qui l’honore. Une bestialité qui lui va comme un gant, l’animal.