Résurgence de pattes arrière chez un dauphin capturé au Japon

par Thucydide
mercredi 8 novembre 2006

Aucun cétacé actuel ne possède, en théorie, de pattes arrière. La nageoire caudale est formée, comme chez les ichtyosaures, par la colonne vertébrale. Mais à l’inverse de ces derniers, la nageoire est horizontale.

Ce distinguo tire son origine des animaux terrestres dont sont issus les uns et les autres : les ichtyosaures descendent de reptiles se déplaçant par ondulations latérales (ce qui est le cas d’une immense majorité de poissons actuels). A l’inverse, les mammifères, qui se tiennent campés sur leurs pattes, progressent souvent par bonds, leur permettant de surmonter les obstacles plutôt que de les contourner ou de se glisser entre eux. En conséquence, leur colonne vertébrale a depuis très longtemps changé sa musculature en vue de mouvements verticaux, bien différents de ceux d’une majorité de poissons et reptiles. D’où le plan horizontal de la nageoire caudale des cétacés.

Les nageoires paires arrière, qui servent de stabilisateurs chez les poissons, requins et ichtyosaures fossiles, ont disparu chez les cétacés actuels. A l’inverse, les nageoires antérieures (correspondant à nos bras et incluant les mêmes os) sont toujours bien présentes. La perte des membres postérieurs remonte aux premiers âges des cétacés, il y a quelque 52 millions d’années. A cette époque, les cétacés ancestraux, appelés archéocètes, possédaient encore ces quatre membres. Les plus primitifs d’entre eux, à l’image d’Ambulocetus (= "baleine marcheuse") étaient capables de se déplacer sur la terre ferme à l’aide de pattes normalement constituées, à l’instar des loutres actuelles. Chez le plus grand des archéocètes connus, Basilosaurus (= lézard impérial, du fait qu’il fut initialement pris pour un reptile), au corps très allongé approchant les 18 mètres, des moignons non fonctionnels de ces pattes arrière sont encore présents.

La nature ayant horreur des organes inutiles, qui sont un handicap, même minime, pour celui qui les porte, les cétacés modernes (mysticètes et odontocètes, soit cétacés à fanons et cétacés à dents) ont totalement perdu leurs pattes arrière, dont il ne subsiste plus qu’une maigre trace de la ceinture pelvienne. La découverte d’un dauphin présentant des pattes arrière, apparemment normales au vu des premières images, en mer du Japon, prouve que le patrimoine génétique nécessaire à la constitution d’un organe reste présent bien longtemps après sa disparition. Les gènes en eux-mêmes ne présentant pas une charge compte tenu de la sélection naturelle (ou alors négligeable), ils peuvent subsister des millions d’années bien à l’abri dans les chromosomes. Mais leur expression est contrariée par divers facteurs tels que des gènes antagonistes, en général dès les stades embryonnaires.

Le dauphin sur lequel cette observation a été faite est l’espèce la plus commune des delphinariums, le souffleur ou tursiops (celui-là même qui est régulièrement utilisé par l’industrie du cinéma, et notamment dans le feuilleton "Flipper"). Ce souffleur, qui appartient à une espèce différente du dauphin commun de Méditerranée, fut capturé au large de la côte Ouest du Japon, le 28 octobre. Ceci dit, tout un chacun ou presque peut observer dans son environnement urbain des résurgences relativement comparables à celle de ce dauphin. Il suffit pour ce faire d’observer les pattes arrière de certaines grandes races de chiens (en particulier chiens de berger, tels que beauceron). Ces pattes sont souvent munies de pouces ne touchant pas le sol, tout comme les pouces des pattes avant. Or, le pouce est absent des pattes arrière des canidés sauvages. Il s’agit donc d’une résurgence du même type. Pis encore, cette résurgence se traduit souvent par la présence non pas d’un, mais de deux pouces (appelés "ergots" par les cynophiles) par patte ce qui, dans ce cas, relève carrément de la tératologie (c’est ainsi qu’on désigne la science des monstruosités telles que serpents à deux têtes, siamois, etc.).

L’évolution des cétacés, relativement bien documentée dans les archives fossiles, permet de suivre leur extraordinaire métamorphose depuis Pakicetus, un petit animal à sabots devant tenir à la fois du kanchil et du chien, jusqu’aux géants actuels, parmi lesquels le plus grand animal ayant jamais existé, le rorqual bleu, ou baleine bleue (eh, non ! ce n’est pas un dinosaure qui a ce privilège). Les plus proches parents actuels des cétacés sont les hippopotames, porcins et ruminants, bien éloignés d’eux sur le plan de la construction générale anatomique, mais avec lesquels ils partagent entre autres un estomac compartimenté.

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