Traumatisme linguistique

par C’est Nabum
samedi 22 juin 2013

Les confessions d'un Bonimenteur

La barre ou le créole universel

Je me dois de vous faire un aveu qui me range dans la cohorte des indigents, des illettrés des temps modernes, des condamnés aux emplois subalternes, des arriérés mentaux et je ne sais quel autre qualificatif. Tout comme le pauvre individu qui ne dispose pas d'un ordinateur et que nos grands savants traitent désormais « d'ordillettrés », je suis un pauvre rebut de la société qui ne parle que le français. Je peux, si vous le voulez tenir une conversation en patois, parler la langue de Couté et comprendre celle de Rabelais, mais jamais, au grand jamais, vous ne m'entendrez m'aventurer dans les turbulences de la langue de Shakespeare.

Pour aller au bout de l'indignité, je n'hésite pas à reconnaître que les neuf années où j'ai eu à subir des cours d'anglais ne m'ont jamais laissé la moindre trace. Définitivement, totalement, radicalement, indubitablement réfractaire à ce dialecte imprononçable, je comprends à peu près ce que peuvent se dire des étrangers à cette langue, des non natifs des nations anglophones. Par contre, dès qu'il s'agit d'un locuteur dans sa langue maternelle, je ne cherche même pas à comprendre et m'enfuis tout penaud.

Je ne peux supporter cette langue dans sa version originale. Mon vieux traumatisme linguistique surgit à nouveau, la douleur toujours aussi vive me vrille les oreilles, me cloue le bec avec une efficacité qui ne s'est jamais démentie. J'en ai des frissons, la chair de poule, je me sens si mal qu'il est inutile de poursuivre plus longtemps cette confrontation navrante. Je suis anglophobe, maladivement, viscéralement, définitivement !

Tout remonte à mon premier cours d'anglais. C'était en sixième. Je revois encore la scène comme si c'était hier. Nous étions dans un préfabriqué monté à la hâte pour intégrer l'afflux de collégiens avec la création des CEG. Je suppose encore que les professeurs n'étaient pas tous au point et cette jeune professeur d'anglais certainement moins que beaucoup d'autres qui faisaient ce qu'ils pouvaient pour encaisser cette première vague de la démocratisation de l'enseignement.

J'avais manqué les trois premiers mois de l'année scolaire, une opération en urgence m'avait contraint à l'absentéisme longue durée. J'arrivais donc, impatient de rattraper mon retard dans une matière pour laquelle mes parents n'avaient sans doute trouvé personne pour venir me donner des cours à domicile. J'étais très ému, ce matin là, je découvrais cette matière qui faisait la spécificité du collège d'alors …

Et ce fut la catastrophe, la honte absolue, le ridicule absurde et ineffaçable. La jeune enseignante, je ne sais pour quelle raison me demande dans cette langue nouvelle pour moi si je suis une fille. Tous mes camarades de souffler derrière mon dos ce premier mot qui sera le dernier. Fier comme Artaban lors de son premier cours de gascon, je décrochai un « Yes » tonitruant.

Je vous fait grâce des rires et des lazzis qui suivirent ce mot qui me resta en travers de la gorge, cette langue que j'ai eue immédiatement en aversion. J'avais pris en grippe la matière et dans un même mouvement tous ceux qui usaient de ce langage. Le reste, les neuf années de gavage inutile furent un calvaire qui m'éloigna à jamais des autres langues vivantes.

À quelque chose, malheur est bon. Je me pris d'une passion dévorante pour le Français, pour les mots et les tournures même si ma dysorthographie pathologique m'en interdisait l'écriture sereine. Pour parfaire ce coup assassin, je subis une nouvelle opération à Pâques et manquai encore un bon trimestre. L'Anglais m'échappait inexorablement !

Alors, quand sur le bateau du capitaine, nous voyons arriver un groupe cosmopolite dont la seule langue commune est ce maudit anglois, je serre les dents tout en faisant bonne figure. Il n'y a pas le choix, la barre est ma bouée de secours, mon refuge pour garder bouche close et ne pas montrer cette humiliation qui n'a jamais cessé depuis ce jour maudit.

Contre mauvaise fortune je dois faire bon cœur et accepter de prendre ce manche qui me déplait presque autant que la langue d'outre Manche. Mais, je n'ai guère le choix si ce n'est que de passer pour un arriéré, ce que je suis certainement aux yeux de ces voyageurs polyglottes. Tant pis pour eux, ils n'auront pas droit à mes bonimenteries. L'expérience de la traduction n'a pas été concluante. Il semble que je sois attaché à ma terre, à ma Loire et à ma langue. Ce n'est pas pour me déplaire !

Linguistiquement vôtre.


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