Trompettes de la renommée

par olivier cabanel
mardi 5 février 2013

« Trompettes de la renommée, vous êtes bien mal embouchées », chantait le Poète.

C’est ce qu’on est tenté de penser en découvrant la vie de deux célèbres inconnus, une femme et un homme, qui auraient pourtant mérité d’être à la tribune d’honneur.

Qui connaissait Rita Levi Montalcini ?

Elle nous a quittés le dimanche 27 janvier 2013 à l’âge de 103 ans.

Cette détentrice d’un prix Nobel de Médecine était italienne, et contre l’avis parental, elle s’était lancée dans des études de médecine qu’elle avait achevées brillamment à l’âge de 27 ans.

Décidant de n’avoir ni mari, ni enfants, elle voulait consacrer sa vie à la recherche, mais les lois racistes mussoliniennes, l’empêchèrent de poursuivre sa spécialisation en neurologie et psychiatrie.

Elle avait installé, pendant la guerre, un laboratoire de fortune dans sa maison de campagne au cœur du Piémont, mais l’avancée des allemands l’obligèrent à se terrer dans les caves de Florence jusqu’à l’arrivée des Alliés en 1944.

L’université Washington de St Louis l’invita à poursuivre sa carrière, et pendant 30 ans, elle va aller de découvertes en découvertes, permettant de réaliser d’énormes progrès dans l’étude des maladies cérébrales, ce qui lui vaudra un Prix Nobel de médecine en 1986.

Après avoir été à l’origine de la création de l’EBRI (Européan Brain Research Institute), elle lancera en 1992 une fondation destinée à financer les études de jeunes femmes africaines, en Ethiopie, Congo, Somalie. lien

Elle avait contribué à briser le dogme selon lequel, dans notre cerveau, tout peut mourir, rien ne peut être régénéré, prouvant que celui-ci peut produire de nouveaux neurones en permanence, et affirmant « qu’à un âge avancé, notre cerveau garde des capacités exceptionnelles que chacun peut utiliser ».

Elle avait découvert que même au 3ème âge, « de nouvelles connexions entre les neurones apparaissent », malgré la mort programmée de centaines de milliers de cellules chaque jour. lien

Un autre méconnu est africain.

Il s’appelait Hamilton Naki, et ce Sud Africain était surnommé le « chirurgien clandestin  », totalement méconnu à cause de l’apartheid, et pourtant il était l’un des pionniers de la greffe du cœur.

Né en 1926, à Ngcangane, il avait quitté l’école très tôt, ses parents étant dans l’impossibilité de lui offrir une éducation prolongée.

Alors, il était parti dans la grande ville en stop, et s’était fait engager comme jardinier du campus de l’Université de Cape Town, entretenant les courts de tennis, les pelouses.

Chaque soir, il regagnait sa pauvre cambuse dans un ghetto, et chaque matin, il retournait à son modeste travail.

Or, un beau matin, le chef vétérinaire fit appel à ses services pour l’aider à une étrange besogne : il s’agissait de disséquer une girafe. Devant la dextérité du jardinier, le vétérinaire fit appel à lui régulièrement pour des prélèvements d’organe d’animaux.

Surpris par la précision de ces gestes et sa facilité à apprendre, le vétérinaire lui fit obtenir un droit de recherche en laboratoire, en échange d’un salaire de « technicien sénior ».

Sa réputation vint aux oreilles d’un certain Christian Barnard, celui là même qui est devenu célèbre pour ses transplantations cardiaques, et ce dernier l’engagea comme premier assistant.

Or c’est Naki qui, le 3 décembre 1967, avait prélevé le premier cœur, celui d’une adolescente, laquelle avait succombé à un accidentn, opération qui avait rendu Barnard célèbre.

Sauf que, vu la ségrégation qui régnait à l’époque en Afrique du Sud, il était hors de question de dire quelle part importante avait pris Hamilton Naki dans la première opération de greffe d’un cœur.

Si par hasard, lors d'une opération, le jardinier médecin apparaissait sur une photo, avec tout l’attirail du chirurgien, le Directeur de l’hôpital affirmait qu’il s’agissait seulement d’un homme s’occupant de l’entretien ménager.

A la fin de l’apartheid, en 1990, Hamilton Naki espéra en vain que sa valeur soit reconnue, mais ce n’est que quelques années après que Barnard appris publiquement aux médias quels mérites revenaient à Hamilton Naki, ajoutant même que « Monsieur Naki était plus habile techniquement que lui-même ».

A la suite de cette tardive reconnaissance, Naki obtint un diplôme « Honoris Causa » de la faculté de médecine, ainsi qu’une décoration honorifique.

Il devint par la suite enseignant universitaire, transmettant son savoir à de futurs chirurgiens, qui allaient exercer plus tard aux 4 coins de la planète.

Il est mort pourtant en 2006, dans le plus parfait anonymat, n’ayant même pas obtenu les faveurs d’une ligne dans les colonnes nécrologiques de la presse. lien

Mais quittons le domaine de la recherche pour celui des arts.

Qui de Camille Claudel, une grande artiste qui a vu son talent éclipsé par celui de Rodin et qui a fini sa vie dans un asile d’aliénés ? lien

Quid de Ferré Grignard dépossédé d’une de ses œuvres majeures par l’exilé fiscal Hallyday, lequel lui a volé son « My crucified Jesus » rebaptisé pour les besoin de sa cause en « cheveux longs idées courtes" ? (la preuve sur ce lien)

La liste est longue des artistes oubliés, ou en tout cas de ces talents pillés allègrement par des artistes minuscules, seulement a l’affut de tout ce qui pourrait leur apporter une notoriété discutable.

En attendant l’Europe vient de recevoir le prix Nobel de la paix, et on essaye d’en comprendre la raison lorsque l’on voit de quelles manières les polices européennes traitent leurs citoyens, qui pour la majorité d’entre eux sont non violents.

D’Allemagne en Espagne, en passant par la Grèce, l’Italie, la Russie, la Turquie, l’Irlande, la Belgique, le Portugal, et bien sur la France, la violence est au rendez vous, et les « forces de l’ordre », équipées comme des « Robocops » bien à l’abri derrière des casques masqués et des boucliers s’en donnent à cœur joie, l’arme au poing. lien

Pendant ce temps, dans notre beau pays, les légions d’honneur pleuvent régulièrement, avec parfois d’étranges justifications. lien

De temps en temps, ces médailles qui se distribuent comme des petits pains en échange parfois de services rendus, sont parfois refusées : La légion d’honneur deviendrait-elle « une légion d’horreur » ?

En tout cas, Jacques Tardi, le célèbre créateur de bandes dessinées et pourfendeur des horreurs de la guerre, a mis les pieds dans le plat, et a refusé tout de go la décoration que l’Etat lui proposait, expliquant qu’il voulait « rester un homme libre et ne pas être pris en otage par quelque pouvoir que ce soit ». Il veut se trouver « en cohérence avec ses convictions  », et à moins qu’un jour un gouvernement veuille bien reconnaitre les erreurs de l’Etat, lorsqu’il fusillait pour l’exemple, il ne changera pas de position. lien

Il a eu des prédécesseurs célèbres : telle la chercheuse Annie Thébaud-Mony, qui avait refusé la Légion d’Honneur pour dénoncer l’indifférence au sujet de la santé au travail, et l’impunité des crimes industriels. lien

D’Aragon à Jean Paul Sartre, (qui avait aussi refusé le Nobel de littérature) en passant par Albert Camus, Françoise Fressoz (journaliste au « Monde ») l’abbé Pierre, Guy de Maupassant, Emile Littré, Jacques Prévert, Marie-Eve Malouine (France Info), Philippe Seguin, Maurice Ravel, Georges Bernanos, Marcel Aymé, (« ils peuvent se la carrer dans le train  ») Georges Sand, (qui ne voulait pas avoir l’air d’une vielle cantinière) Hector Berlioz, Bourvil, (alors que De Gaulle voulait la lui remettre en personne) Georges Brassens, (ce fatal insigne qui ne pardonne pas) Pierre et Marie Curie, Claude Monet, Gustave Courbet, Simone de Beauvoir, Bernard Clavel, Honoré Daumier (« je prie le gouvernement de me laisser tranquille »), Edmond Maire, (« ce n’est pas à l’état de décider ce qui honorable ou pas) Geneviève de Fontenay, l’incontournable animatrice des miss, (« c’est vraiment désacraliser le ruban que de le distribuer à n’importe qui…comme des médailles en chocolat  »)… ils sont nombreux ceux qui, pour garder leur honneur, ont refusé cette décoration dont l’immense Léo Ferré disait dans son poème « il n’y a plus rien  » : « ce ruban malheureux et rouge comme la honte dont vous ne vous êtes jamais décidé à empourprer votre visage  ».

Quand à Brigitte Bardot, Catherine Deneuve, ou Claudia Cardinale, elles refusèrent d’aller la chercher…

Par contre, Philippe Petain, Nicolas Bazire, Jacques Servier, Guy Wildenstein, le juge Courroye, Patrice de Maistre et d’autres n’ont pas fait de difficultés pour l’accepter. lien

 Comme dit mon vieil ami africain : « tout comme la virginité, l’honneur ne sert qu’une fois », à moins que cette parole ne soit de Georges Clémenceau.

 L’image illustrant l’article provient de « visionjour.skynetblogs.be »

Merci aux internautes de leur aide précieuse

Olivier Cabanel

Le texte intégral de la chanson de Léo Ferré est sur ce lien.

On peut écouter avec bonheur cette émission radio récente


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