Une importante découverte archéologique à Istanbul

par Bernard Dugué
lundi 5 mai 2008

 

La presse n’en a pas beaucoup parlé et pourtant, une belle découverte archéologique vient d’être faite à Istanbul qui pendant la Haute Antiquité puis tout le Moyen Age fut la capitale de l’Empire romain d’Orient ; baptisée Byzance, un nom évoquant le luxe, la richesse et la volupté, puis Constantinople, nom hérité de l’empereur Constantin qui en fit la capitale d’un Empire romain encore unifié. Actuellement, un immense chantier creuse un tunnel sous le Bosphore pour y faire passer une ligne ferroviaire reliant les continents européen et asiatique. 600 travailleurs et 60 scientifiques sont présents. C’est en creusant sous terre qu’ont été découverts pas moins de 31 navires datant de l’ère médiévale. De quoi susciter beaucoup d’intérêt, notamment pour les techniques de construction des navires mais aussi pour la nature des cargaisons et objets qu’on y a trouvés. Car le port ayant accueilli ces navires commerciaux et militaires, sur le site de l’Eleuthérion, est chargé d’histoire comme on s’en doute. Il a été créé sous le règne de Théodose Premier, sur une rive de la mer de Marmara, pendant la phase de montée en puissance de l’Empire romain d’Orient, un siècle avant l’effondrement de Rome. Mais pour l’instant, à part quelques déclarations hâtives et une dépêche de l’AFP que la plupart des médias ont reprise, on reste sur notre faim. Peu de détails.

Une cocasserie tout de même. Toutes les dépêches évoquent un possible tsunami s’étant produit au VIe siècle, responsable de l’ensevelissement de ces bateaux dont la dépêche précise qu’ils ont été construits aux VIe, VIIe, VIIIe, IXe et Xe siècles. C’est tout de même étonnant. Autant que l’éventualité d’un tsunami dans la mer de Marmara où est situé le port, une mer fermée dont la taille est à peine le cinquième d’un grand lac américain. No comment. Il faut laisser le temps aux archéologues de rapatrier les navires et leurs cargaisons dans les lieux appropriés pour des recherches scientifiques permettant de juger la valeur historique de cette découverte. Sans doute en saurons-nous un peu plus sur les techniques de fabrication de ces navires et sur l’origine des marchandises transportées. De quoi donner quelques précisions sur les échanges commerciaux entre la capitale de l’Empire romain d’Orient et les peuplades environnantes. Qui couvrent une large étendue, allant de la Russie à l’est, à l’Egypte, la Syrie et la Perse au sud, et les Balkans et l’Europe occidentale à l’ouest.

Les navires découverts grâce à ces fouilles datent de la grande période de l’Empire romain d’Orient, rayonnant de toute sa culture, ses techniques et notamment celles utilisées en navigation, à la fois pour le commerce et pour la défense. La flotte de l’Empire, héritière des tactiques et techniques de l’antique Byzance, a notamment repoussé la flotte du calife de Bagdad en 673. L’essor de Constantinople a été fulgurant. Sa population ayant atteint entre 400 et 800 mille âmes (selon les historiens) à l’orée du VIe siècle. Cinq fois plus que Rome ou d’autres métropoles médiévales européennes. Son rayonnement va durer six siècles. On mesure alors l’intérêt de cette découverte archéologique couvrant cette période où il y eut réellement des chocs de civilisations. Ce fut notamment le cas avec la montée en puissance de l’islam et les reconquêtes certes modestes de la Perse. Du coup, les échanges avec l’Egypte, grenier de l’Empire, ont été interrompus au profit d’un commerce avec la Russie slave alors balbutiante. La configuration de ces échanges nous apprend beaucoup sur la manière dont se concevaient les économies en cette époque bien peu moderne. La route d’Orient aboutissait au détroit du Bosphore et les riches commerçants de Constantinople « dealaient » les étoffes de soie et les épices d’Orient, pour le plus grand bonheur des princes et vassaux, riches notables et autres dames de classe. On est loin de l’actuelle route d’Orient avec ses cargos géants et ses containers remplis de chemises à bas prix venues de Chine. Quel contraste entre cet étrange Moyen Age, son commerce de choses rares, et notre mondialisation inondant les sociétés de produits manufacturés à bas prix. Pourtant, la route des épices s’est transformée et la rareté finit toujours par trouver un port d’accueil et un chemin balisé par des truands. On vend des armes, des œuvres d’art pillées et de la drogue, comme on échangeait des étoffes, des épices et du marbre à l’époque où naviguaient les bateaux exhumés lors de ces grands travaux à Istanbul. Quant à la guerre, elle reposait sur des techniques mais aussi des tactiques, des inventions humaines relevant du corps et de l’esprit, un peu comme maintenant, quoique les écarts soient devenus abyssaux entre des nations dotées des armes les plus sophistiquées et des pays où on utilise encore la machette. Mais bon, cette question a été définitivement résolue il y a quelques siècles avec les Incas et les Indiens d’Amérique.

Ainsi, à notre ère où le monde frétille des jeux vidéo, des exploits de Paris Hilton, des bons mots de Sarko et Ségo, Blair et Berlu, réjouissons-nous de cette découverte dont on espère qu’elle aura quelques échos et commentaires plus érudits et savants que la dépêche dont on doit se contenter. Réjouissons-nous pour ces archéologues et historiens ayant à leur disposition des objets d’époque, fascinants pour comprendre ce Moyen Age encore opaque. Ces navires retrouvés, c’est un peu comme un gène découvert pour les biologistes ou une particule pour les physiciens.


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