Une pointe de beurre …

par C’est Nabum
jeudi 3 novembre 2022

 

À couteau moucheté.

 

Je n'ai jamais été une fine lame ce qui explique sans nul doute mon étonnement lorsqu'un camarade exigea de ne disposer, pour son petit déjeuner, que de couteaux à bouts ronds. Ayant une profonde méfiance vis à vis de cet ustensile que je qualifie volontiers d'ostentatoire obsolète, je me suis interrogé longuement sur cette curieuse réclamation.

Ne voulant pas rester dans l'ignorance, je poussais un peu plus loin l'investigation, mettant mon quémandeur sur le grill afin qu'il m'explique sa requête. Il ne fallait cependant pas tarder car, le sus-dit personnage avait placé devant lui depuis un petit moment une plaquette de beure qui ne demandait qu'à fondre.

Je devinais son impatience à voir satisfaire sa demande coutelière. Il m'avoua sur un ton véhément qu'il avait l'intention de mettre une pointe de beurre sur une tartine qui justement venait de se manifester au sortir d'un grille-pain. Mon hôte ne saurait plus attendre, un objet qui devait servir son dessein.

Je le fis cependant patienter en lui montrant toute ma ménagère, constituée uniquement de magnifiques couteaux de Laguioles, estampillés comme il se doit d'une abeille. L'autre de rétorquer, que pour le miel, une petite cuillère suffirait mais que tel n'était pas pour l'instant son désir de gourmand. Seul le beurre devait servir de sous-couche à la confiture qu'il entendait appliquer par la suite.

À bout de patience devant pareille obstination, je lui fis remarquer que pour une pointe de beurre, une véritable lame effilée ferait bien mieux l'affaire que cet ustensile qui permet parfois de suppléer à l'absence de tournevis pour des usages non alimentaires. Nous n'étions manifestement pas sur la même longueur d'onde.

Il était désormais à bout de nerf, sa tartine avait perdu de sa tiédeur et son désir beurrier allait s'en trouver compliqué. Il consentit alors à m'expliquer par le menu les avantages du bout rond pour l'étalement harmonieux d'une fine couche de ce produit laitier passé par la baratte. Pendant ce temps, le café qu'il entendait servir dans un bol, commençait à exhaler des effluves désagréables.

Je ne voulais pas avouer ma défaite et usait d'une mauvaise fois qui m'est coutumière pour lui asséner un argument que je pensais décisif. Je lui mis alors la plaquette de beurre sous le nez afin de lui montrer combien l'usage d'outils inadaptés se remarquait par des manières fort diverses de couper la pauvre plaquette. Celle-ci avait subi des attaques en règles sur toutes ses faces dans un désordre qui ne permettait plus de reconnaître le merveilleux parallélépipède rectangle qu'elle eut été à son premier déballage.

Les adeptes de la pointe ronde sont notamment les principaux responsables du grattage superficiel, celui qui m'exaspère en plus haut point. Cependant, en lui montrant ces sillons crénelés sur le dessus de la motte, je venais de me trahir. Manifestement, il y avait dans cette maison un couteau à dents fines qui correspondait à son attente.

De guère lasse, je dus avouer ma défaite et lui sortit d'un tiroir dérobé, ce fameux couteau à bout rond qui lui fit retrouver sa bonne humeur légendaire. Il n'eut du reste aucun mal à étaler sa science de l'art « tartinier » tandis que fort mauvais joueur, de mon côté, je devais me satisfaire d'une soupe à la grimace.

Ce petit déjeuner allait me rester sur l'estomac tandis que la plaquette de la discorde finit par prendre des allures de sculpture contemporaines. Nous avions croisé le fer à fleuret moucheté tandis que pendant cette querelle, un moustique sournois vint terrasser mon adversaire, affirmant sans ambage, la supériorité du dard pointu.

À contre-bout.


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