Une ville et sa rivière
par C’est Nabum
samedi 28 décembre 2013
Montauban a tourné le dos au Tarn
Le poids du passé.
Me promenant le long du Tarn et du canal à Montauban, j'allais à la recherche des traces du passé, à la découverte de l'histoire marinière qui ne devait pas échapper à ma curiosité. Je vis bien quelques indices d'un passé de batellerie, des aménagements du fleuve ( des digues que je finis par nommer passolis) , des échelles de crue, des anneaux et des traces d'usure ici ou là, au passage du pont vieux.
J'espérais trouver des mariniers, de doux rêveurs réveillant les souvenirs. Nul bateau de bois sur les berges, pas de barque sur l'eau, mis à part les rares avirons du club nautique. Pas de promenades le long des berges et même quelques barrières interdisant l'accès à la rivière. Pourtant, il y avait eu ici manifestement un passé qui ne demandait qu'à ressurgir des mémoires enfouies.
Il me fallait pousser plus avant mes investigations, aller à la rencontre des gens de la ville qui pourraient m'indiquer ce qui ne semblait pas être mis en avant. Mes pas me menèrent à la capitainerie du petit port montalbanais au terme du canal latéral, tout près d'une écluse qui permettrait le passage vers le Tarn.
J'y rencontrai un homme charmant qui me conseilla de contacter la maison du patrimoine ; nouveau venu dans la ville, il ignorait tout de l'histoire du canal et de la rivière. Selon lui, beaucoup d'habitants de la préfecture du Tarn et Garonne ne soupçonnaient même pas l'existence d' un port en leur bonne cité. Je repartis n'en sachant guère plus, si ce n'est que l'inévitable guinguette avait trouvé sa place en ce lieu, pour les beaux jours …
Obstiné comme un bonimenteur à la recherche de nouvelles anecdotes, j'entrai dans la maison patrimoniale. J'y trouvai une hôtesse charmante et disponible qui m'avoua bien vite qu'il n'existait aucune documentation sur le sujet qui me préoccupait. Montauban a oublié son passé marinier, Montauban s'est détourné de sa rivière ! Maigre butin : un seul livre à se mettre sous la dent où le sujet n'est abordé qu'au travers de rares gravures. Rien de plus !
Pourquoi la ville s'est-elle ainsi détournée de l'eau ? Serait-ce parce que les terribles crues de 1930 ont laissé une trace profonde dans l'inconscient collectif ? Récemment encore, la municipalité a réalisé des travaux d'importance pour poursuivre l'endiguement et la sécurisation du quartiers bas. Le Tarn est toujours vécu comme un adversaire, les plaies demeurent dans les esprits.
Je ne devrais pas être surpris. Ce phénomène de peur et de repli, les villes de notre Loire l'ont connu avant que le passé revienne en pleine lumière. Il faut du temps pour oublier les souffrances et les dégâts. Ici, la dernière catastrophe remonte à 1930 ; il y eut encore des inondations en 2003 qui firent ressortir les vieilles angoisses. Impossible pour le Tarn de revenir en grâce.
Nos villes de Loire ont depuis plus longtemps effacé les traces des dernières crues historiques. Il faut remonter à 1866 pour retrouver la peur et la désolation. En plus de quatre générations, ces souvenirs pénibles se sont estompés et la rivière a retrouvé de son prestige. Ce n'est toujours pas le cas ici, la patience s'impose.
Je remise mes envies de documentation. Je ne découvrirai pas de passionnés en bord de Tarn. On m'a confié l'adresse d'un historien qui s'intéresse à ce sujet. Les archives ne manquent pas mais ne trouvent hélas pas de curieux pour mettre à jour ces trésors qui dorment dans l'indifférence locale. C'est au hasard de la toile que je découvrirais quelques information, issues sans doute de passionnés qui se situent plus loin, vers la Garonne.
La réappropriation du passé fluvial n'est jamais évidente. Il faut avoir fait le deuil des grandes catastrophes passées. Je m'interroge alors à propos de ce qu'il adviendra de nos histoires et de nos bateaux de Loire quand la dame sortira un jour de son lit pour s'offrir cette crue centennale si redoutée par les prévisionnistes et autres spécialistes. Les humains sont versatiles ; je ne doute pas un seul instant que ce sera alors une longue fâcherie avec la rivière. Comme si les folies des hommes sont de la seule responsabilité de celle-ci !
Je laisse le Tarn à l'indifférence des siens. Je viens d'apprendre que même les pêcheurs amateurs y sont peu nombreux. Pas de pêcheurs professionnels non plus dans ce département , seulement quelques rares utilisateurs d'engins en aval, bien plus loin. Les aménagements anciens sur la rivière sont à l'abandon, le poisson ne peut y migrer. Tout est en place pour que l'amnésie de toute une région dure encore longtemps. Grande ingratitude des humains qui feignent d'ignorer tout ce que leurs ancêtres devaient à nos rivières.
De ces vaines recherches, il ne me reste qu'un modeste billet ; le récit d'un coup d'épée dans l'eau. Je reviens bredouille. Je marche sur des rives bien désertes. Comment faire comprendre aux gens d'ici qu'ils tournent le dos à une merveille ?
Enquêtement leur.
Sainte Catherine :
Patronne des mariniers du Tarn et de la Garonne
Le Canal se jette dans le Tarn