Vingt-quatre heures de folie

par C’est Nabum
mercredi 1er juin 2016

Le vent en poupe

Comment rendre compte du pas ordinaire, du parfaitement improbable, du merveilleusement surprenant ? Les mots vont me manquer pour traduire ce qu’il advint de nous durant vingt-quatre heures qui nous laisseront à jamais souvenirs et émotions gravés dans nos mémoires. L’île de Souzay et La Ferme du port sont des lieux qui incitent sans aucun doute à l’exceptionnel. Il fut notre compagnon de route.

La soirée sur l’île, loin de ceux du continent-comme les nomment ceux qui ont fait le choix de vivre en cet endroit séparé du village par un petit bras de Loire-marquera à jamais mon imagination. J’ai recueilli lors de la veillée autour d’un bon feu de cheminée de quoi nourrir contes et histoires. Car si j’ai offert quelques contes aux îliens regroupés autour de nous, à l'initiative de Carole, la fille d' André, le maître de maison, absent pour cause de pêche en mer, ce sont eux qui m’ont régalé de leurs anecdotes et récits liés à leur espace préservé.

Il serait bien trop long de narrer par le menu tout ce qu’ils ont raconté. Il se dégageait de leurs propos l’amour fou pour un endroit où ils vivent comme à l’écart des gens ordinaires, un îlot de liberté et d’indépendance, de marginalité et de fraternité. Ils sont îliens et, lorsque la Loire est haute, il faut prendre une barque pour regagner le continent …

Pas un ne peut se vanter de n’avoir jamais connu la mésaventure de tomber à l’eau. L’incident semble inévitable : la panne de moteur ou la faute de bourde, le chavirement ou bien la maladresse guettent nos Robinsons qui ont tous eu recours aux pompiers un jour ou l’autre. Mais jamais, ô grand jamais, ils ne renonceraient à cet incroyable privilège de leur pré carré.

Ils ont tout essayé pour franchir ce petit Rubicon si cher à leur yeux. La plate, le canoë, le bateau à moteur, le quatre-quatre, le tracteur et même le véhicule amphibie. Il est loin le temps où les îliens de l’île de Souzay finançaient pour leur usage propre les services d’un passeur ; ceux d’aujourd’hui doivent se débrouiller par eux-mêmes pour passer de l’autre côté.

C’est le prix d’une liberté à laquelle ils sont cramponnés. Je voyais leurs yeux briller à l’évocation de ce cadeau qu’ils se sont offert en venant vivre ici. Qui est venu l’été ne doit pas comprendre cette volonté farouche de se prétendre à l’écart des habitants de Souzay, alors qu’un gué permet aisément de rejoindre ceux d’en face. Mais dès que l’eau monte, alors ils sont coupés du monde des terriens et se sentent dépositaires d’un privilège de noblesse ligérienne.

J’aime ces joyeux fous et les histoires qu’ils m’ont contées. J’aime ce besoin d'entrer dans la légende, d’inventer des sorcières et des mystères, de parer leur vie de surnaturel et de fantastique. J’ai trouvé mes semblables ; leur imaginaire est leur quotidien, quelle chance incroyable ! Passez donc les voir ; il faut la Loire pour les croire …

Au matin, quand je suis parti pour une nouvelle étape, j’ai pris le bras qui contourne leur bel écrin de verdure et de solitude. J’ai laissé derrière moi le magnifique village qui leur fait face et j’ai emprunté le long chemin qui retourne au bras principal de la rivière. Comme c’est sauvage, comme c’est différent de la Loire dans son lit ordinaire ! Un renard m’a salué ; j’ai cherché le Petit Prince : il devait se cacher dans son île de la béatitude.

Il ne me fallut alors que bien peu de temps pour changer d’univers. J’arrivai sur la ville de Saumur, son monastère, son château qui domine la cité. Vision émouvante surgie de la grisaille d’une journée automnale en plein mois de mai. Impression majestueuse, pourtant, dans la solitude d’une Loire qui, à nouveau, se remettait à monter. Seul, face au vent, j’étais grisé par le spectacle que m’accordait mon périple.

Puis je quittai la ville pour me retrouver , une nouvelle fois, seul au milieu d’une immensité d’eau et d’arbres. Je luttais contre ce vent qui voulait prendre par le travers mon frêle esquif mais qu’importe : l’effort était récompensé par ce qui se déroulait sous mes yeux. La Loire grise, agitée, nerveuse, les arbres dont les verts, pourtant si différents, s’uniformisaient sous ce ciel plombé.

Je m’offris un petit plaisir, une manière de saluer à distance des amis. Je remontai sur quelques centaines de mètres le Thouet, ce petit affluent célèbre jadis pour sa multitude de moulins à eau. Puis je fis demi tour pour replonger vers la dame Liger. Il me fallait passer sur l’autre rive, affronter une fois encore le vent qui voulait m’interdire ce passage.

C’est à quelques encablures de ma destination méridienne que je vis un groupe d’adolescents attendant en bord de Loire. J’allai à leur rencontre, ils me saluèrent, me dirent qu’ils attendaient des bateaux pour se rendre jusqu’à Ancenis par la rivière avant de rejoindre Saint-Nazaire par la route. J’appris qu’ils étaient élèves du lycée expérimental de Saint-Nazaire dont j’apprécie la formidable pédagogie qui permet de remettre sur les rails des gamins fracassés par les normes absurdes de notre système éducatif sclérosant.

Je leur demandai combien ils avaient de responsables avec eux et ils me firent en chœur cette réponse inenvisageable dans un autre endroit : « Nous sommes tous responsables ! » Je jubilai et reformulai ma question pour apprendre que deux adultes les accompagnaient. Ils me dirent qu’ils rendraient compte de cette expérience par des travaux individuels, les uns établissant des carnets de bord, d’autres des montages vidéos ou des expositions. Je répondis alors à leurs questions sur mon voyage et mes activités. Quel plaisir de trouver élèves curieux, ouverts et attentifs !

Je les quittai à regrets car j’étais attendus à Saint-Clément-des-Levées. À l’initiative de Françoise de Passion Loire, je fus reçu par une trentaine de personnes qui m’attendaient sous un chapiteau dressé par la mairie. Monsieur le Maire et son adjoint vinrent me saluer et m’offrir le verre de l’amitié. Durant près de trois heures ce furent contes et anecdotes, partages et récits. Un moment unique avec la présence d’une journaliste du Courrier de l’Ouest, bien plus curieuse que ses confrères frileux de la Région Centre.

Puis j’eus droit à la visite guidée de la Basilique des mariniers et de l’exposition qui va bientôt s’y tenir. Jean-Marc, un historien émérite, me fit un exposé d’une rare précision sur les pièces qu’il présentait là et sur l’histoire de cette église, symbole un temps du glorieux passé de la marine de Loire et de l'opulence des marchands qui la bâtirent à leurs frais.

L’heure tournait, le vent forcissait encore davantage et je devais rejoindre Le Thoureil. Je ferai récit un autre jour de cette autre partie de mon histoire. J’avais été comblé par de belles rencontres, j’avais conté et j’avais plus encore reçu. Le vent de face était sans doute la contrepartie de ces cadeaux de la divine providence.

Bon vent les terriens

Comblement mien.


Lire l'article complet, et les commentaires