Vivre au pays

par C’est Nabum
samedi 27 août 2016

S’accrocher à sa parcelle de terre.

Quel que soit le pays, quelle que soit votre région, vivre au pays, vivre dans son pays est souvent un défi, une gageure qui impose bien des sacrifices, bien des difficultés à surmonter tandis que la grande masse se retrouve, s’amasse, s’agglutine dans les grandes villes, souvent sans espoir d’y trouver le bonheur. C’est un pari sur une autre vie, une autre forme d’existence qui vous engage dans un processus qui mérite bien des éloges. Refuser la facilité pour affronter l’épreuve d’une vie austère, telle est la voie que choisissent quelques pionniers d’un futur à reconstruire …

Ici, les défricheurs du lendemain vivent dans des cirques magnifiques, des décors de carte postale, des îlots loin de la foule de la côte. Ils s’accrochent à flanc de montagne, cherchent quelques espaces cultivables, retrouvent les gestes des esclaves en fuite qui s’isolaient au bout du monde pour échapper aux coupeurs d’oreille. Ils inventent un demain en repensant le passé, ils pensent l’avenir loin de la folle logique du progrès.

Leur fuite à eux réside dans le refus d’un monde qui court à sa perte, qui cherche à aller toujours plus vite, toujours plus loin pour consommer plus, pour gagner plus-ou simplement le croire ou l’espérer-, pour faire comme tous les autres et se fondre dans une masse uniforme et conforme, informe et difforme. Ils refusent cette logique absurde pour vivre dans leur paradis à un rythme qui ne se mesure pas avec les critères des experts en rationalité et en rentabilité. Ils ignorent les conseils des banquiers, fournisseurs de chaînes financières à perpétuité.

Ici, ils cultivent les lentilles sur des pentes extrêmement abruptes où tout le travail s'effectue à la main sans machine ni électricité. Ils retrouvent le rythme du labeur des anciens, des générations d’autrefois qui savaient la valeur du temps et de l’effort. Ils ne comptent pas ce temps qui désormais n’est qu’argent et empressement. Ils vivent ; ils vont au rythme de la terre, du soleil et des contraintes qui se présentent sans cesse en travers de leur route.

Ils réalisent des prodiges. Pas un brin d’herbe dans les rangs et pourtant ils n’usent pas des produits toxiques des marchands de mort : les grandes sociétés phytosanitaires. Ils sont en équilibre sur la pente ; tentant vainement d’effrayer les oiseaux qui viennent voler le fruit de leur labeur. Ils labourent, sèment récoltent à la main . Ils fauchent, ils battent, ils trient les petites lentilles qui seront vendues sur les marchés, si cher, malgré tout, que seuls les touristes pourront s’offrir ce luxe.

C’est le paradoxe de ce combat pour sauver un territoire. Il faut vendre à ceux qui sont les prototypes de ce monde à la dérive. Pourtant, c’est grâce à ces lointains visiteurs qu’ils peuvent réussir leur pari. Il y a toujours une faille ou une contradiction dans ces combats aussi désespérés que magnifiques. Les exploitants de lentille de Cilaos, sur l’île de la Réunion sont des magiciens et des forçats, des militants et des rêveurs, des pionniers et des esclaves de leur choix, hélas tributaires d’une mondialisation absurde et délirante.

Dans notre périple, nous avons trouvé à Ilet à Cordes un couple qui a fait ce pari insensé. Cet homme et sa femme exploitent des terres à flanc de précipice ; ils travaillent du matin au soir et, pour améliorer l’ordinaire, ils reçoivent à manger les touristes qui se perdent jusqu’à eux après avoir viré, tournicoté durant quatre cents virages dont certains en épingle à cheveu.

Le périple en vaut la peine, la réception est fabuleuse, le cadre exceptionnel, le décor admirable, la table excellente, le rhum bien mieux qu’arrangé : il est sublimé. Le Talamaka est ce lieu extraordinaire où Mickaël et sa charmante femme font des prodiges pour que se perpétue une activité en ce séjour d’exception.

Les cultivateurs de lentilles sont de ces futurs héros d’un monde à reconstruire. D’autres élèvent des brebis, des chèvres, font des fromages, cultivent des fruits ou bien des légumes. Ils s’accrochent à la certitude que vivre au pays est une évidence tout autant qu’une nécessité ; un cadeau tout autant qu’une charge assumée. Ceux qui ne peuvent plus s'offrir ce luxe renforcent le flot des chômeurs ou des exilés, ici ou ailleurs. Il serait temps que l’on tourne enfin le dos à une agriculture du rendement pour faire place à celle qui occupe tout l’espace de cette planète.

Ruralement vôtre.


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