Conrad de Meester, La fraude mystique de Marthe Robin

par Robin Guilloux
samedi 10 octobre 2020

Conrad de Meester, La fraude mystique de Marthe Robin, Préface du frère Paul de Bois, Les Editions du Cerf, 2020

"Dieu saura écrire droit sur des lignes courbes."

Première partie : Entrée - Deuxième partie Marthe s'appropriant de nombreux textes d'autrui - Troisième partie : la mystérieuse "secrétaire" - Quatrième partie : projetée dans l'histoire - Cinquième partie : Reconstitution - En guise d'épilogue - Un vécu pauvre.

L'auteur :

Carme déchaux de la Province de Flandres, docteur en théologie, historien de la spiritualité, éditeur scientifique et analyste critique réputé, Conrad de Meester a consacré l'essentiel de son œuvre aux grandes femmes mystiques du XXème siècle, dont Thérèse de Lisieux, Edith Stein et Elisabeth de la Trinité.

Quatrième de couverture :

"Il est des livres d'investigation dont les révélations provoquent un avant et un après. Parce qu'ils dévoilent un mensonge établi, en démontant chaque raison secrète, chaque rouage caché, en démasquant les auteurs, les complices et les victimes.

Tel est cet ouvrage, appelé à causer un séisme au sein de l'univers catholique.

C'est en odeur de sainteté que meurt Marthe Robin en 1981. La paralysée de la Drôme a passé des décennies à se nourrir seulement de la communion, à connaître des visions surnaturelles, à éprouver les stigmates du Christ et à transmettre ses dialogues avec Dieu. Elle a reçu des milliers de visiteurs et inspiré le mouvement international des Foyers de Charité. Ses disciples voulaient qu'elle soit béatifiée et canonisée. Pensant en faire l'avocat de leur cause, ils confièrent ses archives au carme Conrad de Meester.

Mais le spécialiste de la mystique féminine va se faire le procureur de Marthe Robin. Le rapport circonstancié qu'il adresse à Rome, dans lequel il démontre et dénonce une fraude systématiquement organisée, est enterré. Au soir de sa vie, il reprend son réquisitoire, entraînant le lecteur dans la reconstitution de son enquête, déroulant une à une les pièces à conviction, enchaînant les découvertes graphologiques, textuelles, chronologiques, factuelles, médicales qui démontent la construction et l'imposture.

C'est le manuscrit retrouvé dans la cellule de Conrad de Meester à sa mort, le 6 décembre 2019, que publie les Editions du Cerf, son éditeur historique. Afin que, selon son vœu, triomphe l'exigence évangélique de vérité.

Préface du frère Paul de Bois : 

"En 1988, l'évêque de Valence prit contact avec notre frère Conrad de Meester, pour lui demander d'examiner plus de 4000 pages dactylographiées, correspondant aux lettres et écrits de Marthe Robin, décédée en 1981. De son vivant, et plus encore après sa mort, elle fut considérée par beaucoup comme une grande mystique et une vraie sainte. A l'occasion de la phase diocésaine du procès de canonisation, le père Conrad a soigneusement lu et étudié tous ces documents. Il en a résulté un Rapport volumineux, soulevant de nombreuses interrogations. Transmis au Vatican, il n'a jamais obtenu de réponse.

Tout au long des 25 années qui suivirent, le père Conrad poursuivit en silence son enquête sur Marthe Robin et ses écrits. Le 4 avril 2012, il signa un contrat avec les Editions du Cerf dans lequel il était indiqué que "l'auteur remettra à l'éditeur en juin 2012 une disquette et un manuscrit papier définitif et complet". Pourquoi donc un tel retard dans la publication de son étude ?

Le père Conrad était d'abord un perfectionniste. Il approfondissait sans cesse ses recherches et ce jusqu'au moindre détail. C'est incroyable le temps qu'il a investi à faire des voyages en France pour interroger des gens qui, d'une façon ou d'une autre, avaient eu des contacts avec Marthe Robin, à visiter des lieux, étudier et relire tous les documents, à fouiller des bibliothèques pour prouver ses conclusions. Dans son livre, il avoue plusieurs fois son étonnement voire sa stupéfaction à la suite de ses découvertes. Il fut même parfois tourmenté par les résultats de son enquête. Sa prudence et sa sagesse l'ont retenu de publier trop rapidement les conclusions de ses recherches. Il n'avait absolument pas l'intention de rechercher la publicité ou la sensation et encore moins de montrer au grand public son travail génial (c'est le mot qui convient). L'enjeu était trop grand. D'une part, il prit de plus en plus conscience du retentissement qu'aurait une telle publication alors même qu'il ne voulait blesser personne. D'autre part, il avait un sens aigu de sa responsabilité. C'est la raison pour laquelle il écrivit dans son Introduction : "Il m'a semblé que, plus d'un quart de siècle après ce premier travail (notamment le rapport de 1989), et l'âge montant, il était de mon devoir de parler. Il y va de l'Eglise du Christ, invitée à marcher selon les exigences de la vérité."

Mais il ne parvint pas à terminer son travail. La mort le surprit le 6 décembre 2019. Jusqu'à ses derniers instants, le père Conrad exprime à ses frères le désir de voir publier un jour les résultats de ses recherches. Finalement il confia cette tâche à d'autres.

La découverte de son manuscrit sur son ordinateur nous a permis de comprendre que ses problèmes de santé avaient commencé dès 2016. Les chapitres 1 à 25 étaient achevés. Seul un chapitre restait à rédiger mais il n'y parvenait pas, s'obstinant à réécrire certains passages des chapitres précédents sans les modifier vraiment. Fort heureusement, nous avons retrouvé tous les éléments nécessaires à la rédaction de cet ultime chapitre. Ainsi le résultat est une œuvre vraiment complète.

La publication de ce livre est d'abord un hommage fraternel à l'auteur qui a rendu d'énormes services à l'Eglise au cours de sa vie par la publication intégrale des écrits de sainte Elisabeth de la Trinité, ou ses études sur sainte Thérèse de Lisieux. Nous sommes convaincus que cet ouvrage sur Marthe Robin, fruit d'un immense travail, reste son chef-d'oeuvre... Lequel suscitera sans doute des réactions fort différentes.

(P. Paul de Bois, Provincial des carmes de Flandres)

En guise d'épilogue : un vécu pauvre

"J'évoquai au début de ce livre comment, loin de vouloir poursuivre Marthe Robin de mes interrogations puisque je ne m'étais jamais soucié ni de son œuvre, ni de sa vie lorsque je fus convié à examiner son cas par ses défenseurs les plus ardents. Sans doute voyaient-ils en mon concours, au titre de mes études sur les mystiques féminines, un appui de choix au service de leur cause. Il me fallut néanmoins décevoir leur attente, moins cependant que Marthe, à laquelle je vouais initialement une sorte de vénération aussi instinctive que sincère, ne finit par me décevoir.

Tel est le constat auquel inéluctablement me conduisit une enquête qui devait durer quelques semaines et me prit plusieurs années : celui, donc, d'une imposture.

L'œuvre de Marthe ? Même si les formules qu'elle contient sont souvent belles et fortes, les perspectives qu'elle dessine souvent riches et profondes, elle constitue une anthologie plagiaire. 

La vie de Marthe ? S'il s'agit d'interroger son véritable trésor d'âme, il me semble peu de chose. Il y manque la clarté et la candeur, cette honnêteté propre aux grandes personnalités spirituelles qu'elle a su si bien copier à la lettre, mais non pas imiter dans l'esprit. Le vécu de sa vie chrétienne, la qualité évangélique de son agir, la pureté intérieure de son comportement, m'ont semblé, somme toute, bien pauvres." (Conrad de Meester)

Mon avis sur le livre : 

J'ai entendu parler pour la première fois de Marthe Robin dans les années 80 par quelqu'un qui fréquentait les Foyers de Charité. Je ne l'ai pas connue de son vivant, mais je suis allé une fois à Châteauneuf de Galaure par curiosité et pour voir le Palais du facteur Cheval.

Le livre de Jean Guitton m'avait laissé une impression mitigée : aversion pour les opinions politiques de l'auteur, pétainiste convaincu, et refus de sa tendance à confondre foi et savoir, que l'on retrouve dans un ouvrage écrit en collaboration avec les frères Bogdanov dans lequel il affirme que la théorie du Big Bang "prouve" la création ex nihilo dans le Livre de la Genèse, refus de sa conception "magique" de l'eucharistie qu'il construit à partir de l'inédie supposée de Marthe Robin, sympathie pour cette dernière, en raison de ses souffrances, de son bons sens paysan et des bons conseils qu'elle semblait donner.

J'ai pensé jusqu'à une date récente que les idées politiques ultra conservatrices de Guitton n'entraient pas en ligne de compte dans sa relation avec Marthe Robin, avant que l'on n'attire mon attention sur la composition d'une partie de l'entourage de la "stigmatisée de Châteauneuf de Galaure", lié avec l'extrême-droite intégriste et hostile au concile Vatican II (la Fraternité Saint Pie X, l'Opus Dei, le Front national, etc.) et à laquelle Marthe Robin, nolens volens, semble avoir servi d'égérie et de caution.

J'ai été ébranlé par le livre de Conrad de Meester et impressionné par la culture, la rigueur intellectuelle et l'intelligence de ce religieux spécialiste de la mystique féminine (Elisabeth de la Trinité, Thérèse de Lisieux) qui, chargé de participer à l'enquête sur la phase diocésaine de canonisation de Marthe Robin, avec des préjugés plutôt favorables au départ, s'est aperçu au fil d'un long et minutieux travail qui ne devait durer qu'une quinzaine de jours et s'est étendu sur plusieurs années, de graves manquements à l'honnêteté et à la vérité. Mais dans cette affaire, comme le montre Conrad de Meester, il est difficile de savoir qui manipule qui (selon lui, c'est Marthe Robin qui manipulait le Père Finet et non l'inverse).

S'appuyant sur des expertises graphologiques, des documents authentiques, des témoignages de première main, et une impressionnante connaissance de la mystique chrétienne, le Père de Meester aboutit aux conclusions suivantes :

1. Contrairement à ce qu'elle laissait croire, Marthe Robin n'était ni complètement aveugle, ni complètement paralysée.

2. Les conditions dans lesquelles s'est déroulée la seule et unique expertise médicale ne permettent pas de porter un jugement scientifique sérieux sur la réalité de son état physique (cécité, paralysie).

3. Contrairement à la légende de l'inédie, elle ne se nourrissait pas uniquement de la communion. Elle était capable de se déplacer en rampant et se relevait probablement la nuit pour manger et pour boire.

4. Dans ses écrits mystiques qu'elle rédigeait elle-même pour la plupart en faisant croire qu'elle les dictait à des "secrétaires", ce qui prouve l'absence de paralysie complète, elle plagie en se les attribuant des textes (souvent mot à mot) de mystiques célèbres comme Thérèse d'Avila, Thérèse de Lisieux, Thérèse Newman, Angèle de Foligno, le cardinal de Bérulle, Catherine de Sienne, Thérèse d'Avila, Anne-Catherine Emmerick, Véronique Giulani, Gemma Galgani... ou moins célèbres comme Dina Bélanger, Paul de Jaeger, Marie-Vincent Bernadot, Thérèse Durnerin, Madeleine Sémer, Marie-Antoinette de Geuser...

Note 1 : la postulatrice de la cause de la canonisation admet les faits, mais explique qu'il faut considérer la dimension temporelle : Marthe Robin s'appropriait au départ le langage d'autres mystiques car ils ou elles l'aidaient à mettre des mots sur ce qu'elle vivait. Elle s'en serait détachée peu à peu pour acquérir son propre langage. Elle ne donne malheureusement pas d'exemple de ce langage plus personnel, ni de date.

Note 2 : La même postulatrice explique que Conrad de Meester est le seul à émettre un avis défavorable, comme s'il s'agissait uniquement d'une question de quantité. A ce titre, si 100 personnes affirment que la Terre est plate, elles auront raison contre la seule personne qui affirme qu'elle est ronde.

Note 3 : l'affirmation de la sainteté est fondée sur une suite de pétitions de principes : on juge un arbre à ses fruits, or les fruits sont excellents, donc Marthe est une sainte, ou bien : une sainte ne peut pas frauder, or Marthe est une sainte, donc Marthe n'a pas fraudé ; la sainteté appartient à un "ordre supérieur", qui n'est pas celui de la morale courante, or Marthe est une sainte, donc elle n'est pas tenue d'observer la morale courante, etc..

Note 4 : soit le "sacrifice" de Jésus sur la croix a suffi à la rédemption de l'humanité, mais alors à quoi "servent" les souffrances des stigmatisés ? Soit il n'a pas suffi, mais alors pourquoi l'Eglise prétend-elle qu'il a suffi et si elle cesse de le prétendre, alors Marthe et ses semblables doivent être vénérées comme le Christ et déclarées "co-rédemptrices" de l'Humanité.

Note 5 : pourquoi un "Dieu d'amour" se plairait-il à torturer toute sa vie une pauvre femme malade, déjà bien éprouvée par la maladie ? 

Note 6 : Cette théologie sacrificielle aboutit à des déclarations étranges (pour ne pas dire carrément "hérétiques") de la part de certains membres des Foyers de Charité, du genre  : "Marthe est la plus grande sainte de tous les temps" (comme si la sainteté était au programme des jeux olympiques), ou encore : "Elle a bien plus souffert que le Christ qui, lui, n'a souffert la Passion qu'une seule fois", sous-entendu : elle est plus sainte que Christ...

Mais il est malheureusement probable que la cause de la canonisation l'emportera sur celle de la vérité car trop de gens ont intérêt à ce qu'il en soit ainsi.

5. L'expertise graphologique réalisée avec une grande rigueur par Conrad de Meester prouve que Marthe Robin contrefaisait son écriture (au moins trois écritures différentes) pour faire croire qu'elle dictait ses lettres et ses propos mystiques à ces fameuses "secrétaires" dont il a été impossible de trouver la trace, pour la bonne raison qu'elle les écrivait elle-même.

5. Ce qu'il faut bien appeler des mensonges et des fraudes jettent le doute sur l'authenticité des phénomènes mystiques qu'elle aurait vécus (stigmatisation, participation à la passion du Christ, apparitions de la vierge, etc.)

On peut se demander : 

1. Comment se fait-il qu'un seul et unique examen médical, par ailleurs aussi rapide et aussi superficiel, effectué par deux médecins catholiques lyonnais, ait pu aboutir à un diagnostic aussi formel de paralysie et de cécité complète.

2. Pourquoi n'a-t-on pas pensé à vérifier l'inédie de Marthe à l'aide d'une expérience simple, comme l'ont fait les Allemands avec Thérèse Newman ?

3. Pourquoi personne n'a-t-il remarqué les innombrables "emprunts", pour ne pas dire plagiats qui parsèment ses écrits.

4. Pourquoi personne n'a-t-il cherché l'identité des mystérieuses "secrétaires".

Dernière question : Pourquoi l'Eglise a-t-elle si peur de la vérité ?

La découverte récente de graves manquements à la morale de la part du cofondateur des Foyers de Charité (abus sexuels et spirituels), le Père Finet, incite à s'interroger sur les fondements éthiques et théologiques (conception sacrificielle de la religion, exaltation de la souffrance, culte de la personnalité, recherche de phénomènes extraordinaires, idée que la fin justifie les moyens, etc.), voire financières de ces communautés nouvelles, dites "charismatiques", et sur les causes des errements moraux et spirituels de leurs fondateurs.

C'est la première leçon que l'on peut tirer de cette affaire. La seconde est la nécessité de prendre les mesures appropriées. Les responsables prétendent qu'elles sont à l'étude. Nous ne pouvons que les croire sur parole.

Conrad de Meester explique dans son livre qu'il n'a pas voulu s'en prendre à Marthe Robin et aux Foyers de Charité, il reconnaît même le fait que son œuvre puisse porter de bons fruits, selon la parole de Jésus dans l'Evangile : "Si deux ou trois sont réunis en mon nom...", mais qu'il n'a fait que chercher la vérité et qu'il s'est senti incapable de la taire quand il a eu la conviction de l'avoir trouvée. Car dans le domaine spirituel, la fin ne justifie pas les moyens, comme en politique et si la vérité nous rend libres, à l'inverse le mensonge nous aliène.

 


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