Explication d’un texte de Blaise Pascal sur la raison humaine

par Robin Guilloux
mercredi 16 juin 2021

L'auteur :

Blaise Pascal, né le 19 juin 1623 à Clermont (aujourd'hui Clermont-Ferrand) en Auvergne et mort le 19 août 1662 à Paris, est un mathématicien, physicien, inventeur, philosophe, moraliste et théologien français.

Le texte : 

"N’est-ce pas indignement traiter la raison de l’homme que de la mettre en parallèle avec l’instinct des animaux, puisqu’on en ôte la principale différence, qui consiste en ce que les effets du raisonnement augmentent sans cesse, au lieu que l’instinct demeure toujours dans un état égal ? Les ruches des abeilles étaient aussi bien mesurées il y a mille ans qu’aujourd’hui, et chacune d’elles forme cet hexagone aussi exactement la première fois que la dernière. Il en est de même de tout ce que les animaux produisent par ce mouvement occulte[1]. La nature les instruit à mesure que la nécessité les presse ; mais cette science fragile se perd avec les besoins qu’ils en ont : comme ils la reçoivent sans étude ils n’ont pas le bonheur de la conserver ; et toutes les fois qu’elle leur est donnée, elle leur est nouvelle, puisque, la nature n’ayant pour objet que de maintenir les animaux dans un ordre de perfection bornée elle leur inspire cette science nécessaire, toujours égale, de peur qu’ils ne tombent dans le dépérissement, et ne permet pas qu’ils y ajoutent, de peur qu’ils ne passent les limites qu’elle leur a prescrites. II n’en est pas de même de l’homme qui n’est produit que pour l’infinité. Il est dans l’ignorance au premier Age de sa vie ; mais il s’instruit sans cesse dans son progrès : car il tire avantage non seulement de sa propre expérience, mais encore de celle de ses prédécesseurs, parce qu’il garde toujours dans sa mémoire les connaissances qu’il s’est une fois acquises, et que celles des anciens lui sont toujours présentes dans les livres qu’ils en ont laissés. Et comme il conserve ces connaissances, il peut aussi les augmenter facilement."

1. Caché.

Explication du texte :

Selon Pascal, l'homme n'est pas un animal comme les autres, c'est le traiter indignement que de mettre en parallèle l'intelligence humaine et l'instinct des animaux. L'homme est doué de raison, de langage. 

Les animaux sont capables de fabriquer des objets artificiels, mais ils le font par instinct et non par raison. Les abeilles, par exemples, fabriquent des ruches qui sont un modèle de perfection, mais, comme le dit Marx : « Ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. » 

L'abeille agit par instinct. Il n'y a pas d'histoire de l'architecture chez les abeilles, elles ont toujours construit leurs ruches de la même façon. Les abeilles ne se servent pas d'outils, elles fabriquent leurs ruches directement, instinctivement en se servant de leur corps sans la médiation d'outils. Les animaux sont mus par l'instinct, les hommes par la raison qui nécessite l'apprentissage et la transmission par le langage. 

"La nature les instruit à mesure que la nécessité les presse, mais cette science fragile se perd avec les besoins qu'ils en ont" : en d'autres termes, la nature qui veille à la conservation des animaux peut, si le besoin s'en fait sentir, modifier la conduites des animaux afin de l' adapter à des situations nouvelles. 

Mais cette science est fragile, elle se perd avec le besoin, elle ne se conserve pas une fois que le besoin ne se fait plus sentir, car elle est liée à modification momentanée dans l'environnement. D'autre part, les animaux la reçoivent sans étude. Les animaux ne disposent pas du langage et ne peuvent donc pas conserver leur nouveau savoir. C'est pourquoi les animaux ne font pas de progrès. 

Dieu veille à la conservation des animaux, mais les maintient dans un ordre de perfection bornée. On peut rapprocher cette idée de celle de "création continuée" de Descartes. L'idée de création continuée apparaît tout aussi bien dans le Discours de la méthode ainsi que dans les Méditations métaphysiques. Selon Descartes, la nature est un mécanisme, une machine dépourvue d'un quelconque dynamisme interne qui ne saurait exister par elle-même. L'acte de création ne doit pas être réduit à l'origine du monde ; Dieu n'a pas créé la nature pour la laisser être et exister. Étant incapable d'être par elle-même, la nature est donc suspendue à la « création continuée » ; autrement dit, elle est continuellement renouvelée. 

Dieu a non seulement crée les animaux (et l'homme), mais il leur permet de subsister, de conserver l'être. Cependant, les moyens qu'il a donnés aux animaux sont différents de ceux qu'il a données à l'homme. Aux animaux, il a donné l'instinct, à l'homme l'intelligence et la raison. 

L'instinct est limité, il ne permet pas de dépasser certaines bornes bien définies. L'abeille par exemple construit ses ruches de la même façon, l'éclaireuse signale toujours de la même manière la présence d'une source de miel. Si l'expérimentateur place la source de miel à la verticale, sur un poteau télégraphique par exemple, les éclaireuses sont capables de repérer la source de miel, mais non de transmettre l'information à la ruche car les fleurs ne poussent pas à la verticale dans la nature. 

"L'homme au contraire est produit pour l'infinité" dit Pascal. Selon Descartes notre volonté serait infinie tandis que notre entendement serait limité mais grâce au bon usage de l'entendement et de la mémoire, nous pouvons augmenter à l’infini nos connaissances. Par ailleurs, pour Descartes, nous avons l'idée de l'infini qui est Dieu et nous pouvons devenir de plus en plus semblable à lui par le développement de nos connaissances. 

Note : pour Anselme de Cantorbéry, le concepteur de la fameuse "preuve ontologique" dont s'inspire Descartes dans les Méditations métaphysiques, il y a une relation intrinsèque entre l'intelligence et la foi. La foi est possible parce que l'intelligence est capable de comprendre la nature de Dieu. Dieu se comprend lui-même et comprend ses créatures. La relation, certes, n'est pas réciproque : la créature, par ses seules lumières, ne peut pas comprendre Dieu parce que sa nature diffère radicalement de la nôtre. Mais Dieu peut nous accorder le pouvoir de le connaître par une grâce particulière. Du reste, lorsque nous pensons la nature infinie de Dieu et qu'à cet effet nous avons reçu une grâce particulière, nous participons de la nature infinie de Dieu et c'est comme si Dieu se pensait lui-même à travers nous. 

Lorsque nous pensons à Dieu comme à un être infini, il n'est pas possible que nous nous trompions, parce qu'il n'est pas possible qu'un entendement fini puisse penser quelque chose d'infini de lui-même. C'est parce que notre idée de Dieu vient de Dieu qu'elle est vraie. C'est pourquoi Descartes dira que Dieu est à la fois cause de mon idée et cause de mon être. 

L’infini chez Descartes comme ici chez Pascal est donc un modèle de perfection auquel l’homme est appelé. La théologie chrétienne de l’histoire, contrairement aux conceptions antiques n'est pas cyclique, la résurrection du Christ a permis la victoire de l'humanité sur la mort : Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu. La science en plein essor au temps de Descartes puis de Pascal permet de rationaliser la croyance chrétienne. La théologie chrétienne de l’histoire s’incarne désormais dans l’idée de progrès. 

Pour Pascal, la science moderne permet d'arbitrer ce qui faisait débat chez les Anciens. Pascal écrit une préface à un traité sur le vide. Les preuves expérimentales qu’il apporte arbitrent un débat philosophique qui s’était prolongé jusqu’à Descartes : contre la tradition scientifique et philosophique, l’expérience scientifique montre qu’il y a du vide. 

Cependant, le savoir des modernes n’aurait pas pu se constituer sans le savoir des anciens. Epicure affirmait le vide contre Aristote. Sans ce débat, les modernes n'auraient pas pu avancer sur cette question. Le progrès ne consiste ni à rejeter le savoir des Anciens, ni à le reproduire sans le questionner. 

Rappelons la thèse de Pascal : l'homme est un animal augmenté. Ses arguments sont les suivants : 

a) Les effets du raisonnement augmentent sans cesse, alors que l'instinct demeure toujours dans un état égal. 

b) Les abeilles construisent toujours leurs ruches de la même façon (il n'y a pas une histoire de l'architecture chez les abeilles). 

c) Chez les animaux, les connaissances nouvelles se perdent avec les besoins. 

d) La nature maintient les animaux dans un ordre de perfection bornée. 

e) L'homme au contraire n'est produit que pour l'infinité. 

f) L'homme s'instruit par sa propre expérience et par l'expérience de ceux qui l'ont précédé. 

g) Il s'instruit également pas la mémoire et par les livres qui lui permettent d'augmenter ses connaissances. 

On peut rapprocher ce texte de celui de Jean Pic de La Mirandole (1463-1494) : 

"En fin de compte, le parfait ouvrier décida qu'à celui qui ne pouvait rien recevoir en propre serait commun tout ce qui avait été donné de particulier à chaque être isolément. Il prit donc l'homme, cette œuvre indistinctement imagée, et l'ayant placé au milieu du monde, il lui adressa la parole en ces termes : « Si nous ne t'avons donné, Adam, ni une place déterminée, ni un aspect qui te soit propre, ni aucun don particulier, c'est afin que la place, l'aspect, les dons que toi-même aurais souhaités, tu les aies et les possèdes selon ton vœu, à ton idée. Pour les autres, leur nature définie est tenue en bride par des lois que nous avons prescrites : toi, aucune restriction ne te bride, c'est ton propre jugement, auquel je t'ai confié, qui te permettra de définir ta nature. Si je t'ai mis dans le monde en position intermédiaire, c'est pour que de là tu examines plus à ton aise tout ce qui se trouve dans le monde alentour. Si nous ne t'avons fait ni céleste ni terrestre, ni mortel ni immortel, c'est afin que, doté pour ainsi dire du pouvoir arbitral et honorifique de te modeler et de te façonner toi-même, tu te donnes la forme qui aurait eu ta préférence. Tu pourras dégénérer en formes inférieures, qui sont bestiales ; tu pourras, par décision de ton esprit, te régénérer en formes supérieures, qui sont divines..." 

Le "parfait ouvrier" dont il est question au début du texte est le Dieu de l'Ancien Testament (Livre de la Genèse), dont il est dit "qu'il créa le ciel et la terre". Pic de la Mirandole assimile le Dieu créateur de l'Ancien Testament au "Démiurge" (Démiourgos) qui façonne la monde à partir de la matière, les yeux fixés sur les Idées éternelles, dont parle Platon au début du Timée. 

Ces deux conceptions que Pic de la Mirandole assimile syncrétiquement ne sont pas vraiment compatibles car pour les Grecs, la matière est éternelle (elle existe de toute éternité), alors que pour les Hébreux, Dieu (Yavhé-Elohims) a crée le monde à partir de rien, par sa parole (Dieu dit : "que la lumière soit..."). On ne peut donc pas le qualifier "d'ouvrier". 

Le début du texte fait allusion au mythe de Prométhée et d'Epiméthée, tel que le rapporte Platon dans le Protagoras... 

Les dieux ordonnent à Prométhée et à Epiméthée de distribuer des qualités aux "races mortelles". Epiméthée s'acquitte de cette tâche, mais oublie l'homme qui demeure nu et sans "équipement". 

Epiméthée ne donne pas les mêmes qualités aux animaux, il donne aux uns la rapidité (les lièvres par exemple), la force (les éléphants), des armes (les lions et les tigres), une carapace, du venin etc. 

L'homme se distingue des autres espèces par le fait qu'il n'a aucune qualité naturelle particulière : il n'est ni particulièrement agile, ni particulièrement fort, ni particulièrement armé. L'homme est le plus démuni, le plus faible, le moins favorisé de tous les animaux. Constater que l'homme est "nu", ce n'est pas seulement constater sa faiblesse, c'est aussi constater son inachèvement. 

Pic de la Mirandole place l'homme au milieu du monde, et non au milieu du paradis terrestre et il n'est pas question de désobéissance et de chute. 

L'homme, selon Pic de la Mirandole, tient une position "intermédiaire", entre le monde animal et le monde céleste. L'homme est un "microcosme", une image du monde ; il n'est pas "au sommet", mais "au milieu" de la création et il possède en lui les "germes" de toutes autres les espèces : une âme végétative comme les plantes, une âme sensitive comme les animaux et un esprit comme les hiérarchies célestes (et infernales) et comme Dieu. 

Il se caractérise essentiellement par la liberté : " la nature définie (des animaux) est tenue en bride par des lois que nous avons prescrites : toi, aucune restriction ne te bride, c'est ton propre jugement, auquel je t'ai confié, qui te permettra de définir ta nature." 

L'homme est un être inachevé, contrairement aux animaux qui ont une place déterminée, un aspect qui leur est propre et des dons particuliers. En termes modernes, il n'y a pas de "nature humaine", on ne naît pas homme, on le devient, aussi bien individuellement (ontogénèse) que collectivement (phylogénèse), l'homme se crée lui-même à travers la culture. On peut donc dire, sans trop craindre de déformer la pensée de Pic de la Mirandole, que Dieu n'a pas crée l'homme, mais qu'il a laissé à l'homme la liberté de "se créer" lui-même, d'être l'artisan de son propre devenir. L'homme s'accomplit dans l'action. 

Contrairement aux hiérarchies célestes, aux bêtes, aux plantes et aux pierres, l'homme n'a pas été crée "une fois pour toutes". Dieu lui a donné le pouvoir "arbitral et honorifique de se modeler et de se façonner lui-même" : Pic compare l'homme à un artiste, à un sculpteur qui serait à la fois le créateur et son œuvre. 

Il appartient à l'homme de devenir ce "parfait ouvrier" qui qualifiait le Dieu créateur au début du texte. L'homme peut "tomber" et dans ce cas il "dégénérera en formes inférieures", mais il peut aussi se relever pour "se régénérer en formes supérieures", puisqu'il possède en lui, indistinctement les germes de la plante et de l'animal et qu'il a été crée à l'image de Dieu. Pic de la Mirandole souligne à nouveau la plasticité et la perfectibilité de l'homme. 

Ce texte est un parfait témoignage de l'esprit de la Renaissance, de l'optimisme qui animait ses plus éminents représentants et de la foi qu'ils plaçaient dans les capacités créatrices de l'être humain. 

On conçoit cependant que "l'oubli" des notions de péché et de chute, mais aussi de grâce, de rachat et de médiation entre l'homme et le créateur pouvait inquiéter l'Eglise. 

L'homme n'est-il qu'un animal comme les autres ?

Selon Emile Durkheim, si l'homme a pu dépasser le stade auquel les animaux se sont arrêtés, c'est d'une part parce qu'il coopère avec ses semblables et d'autre part parce que le savoir accumulé se transmet de génération en génération. 

La société joue un rôle essentiel dans le processus d'hominisation, aussi bien sur le plan individuel que sur le plan collectif. L'homme est un animal social, il n'existe que dans et par la société. Si on retirait à l'homme tout ce qui tient à la société : il tomberait au rang de l'animal. 

On sait, par l'exemple des "enfants sauvages" analysé par Lucien Malson que l'homme à l'état sauvage n'est ni un animal ni un homme, mais un "monstre". 

Les animaux, dès la naissance, ont en eux les capacités de s'adapter rapidement à leur environnement. Le petit homme au contraire est un "animal inachevé" ; il ne fait presque rien par instinct. Il est complètement dépendant de ses parents, en particulier de sa mère, pendant de nombreuses années et a besoin d'un long apprentissage. 

L'homme a réussi à dépasser le stade auquel les animaux se sont arrêtés grâce à la coopération avec ses semblables. Cette coopération existe également dans certaines sociétés animales, par exemple chez les fourmis et chez les abeilles, ce qui leur permet de réaliser des "artefacts" (ruches, fourmilières) ; c'est ce même esprit de coopération qui permet aux hommes de réaliser des objets artificiels (bâtiments, routes...) qu'aucun être humain pris isolément ne serait capable de produire. 

Les animaux possèdent à la naissance dans leur constitution corporelle presque tout ce qui leur est nécessaire pour s'adapter à leur environnement. L'apprentissage s'effectue par imitation et porte sur des conduites très spécifiques. 

La différence entre l'homme et l'animal réside essentiellement dans le fait que l'expérience humaine se transmet de génération en génération. Cette transmission est rendu possible par le fait que l'homme a inventé des moyens pour transmettre cette expérience : tradition orale et écrite, monuments portant des inscriptions, outils, instruments de toutes sortes... 

Le point commun entre ces différents moyens de transmission est le fait qu'ils sont en rapport étroit avec le langage articulé (l'outil étant une sorte de signe matérialisé) ; c'est le langage, phénomène éminemment social, qui permet la transmission au sein de l'espèce humaine. Comme l'a expliqué Ferdinand de Saussure (Cours de Linguistique générale, 1916), le langage, en tant que faculté ou aptitude à constituer un système de signes, instaure la langue dont la dimension collective préexiste à la parole individuelle et la rend possible. 

Le langage permet à l'homme d'ajouter à la nature des savoirs et des savoir-faire et de les transmettre d'une génération à l'autre d'une manière cumulative. 

Le savoir humain, contrairement aux savoir-faire des animaux "va sans cesse en croissant". Selon Marx, ce qui distingue l'abeille la plus habile de l'architecte le plus maladroit, c'est le fait que l'abeille construit toujours sa ruche de la même façon. Il n'y a pas d'histoire de l'architecture des abeilles. On observe en effet une certaine invariance dans le comportement des animaux. Les animaux n'ont pas d'histoire, alors que l'homme invente sans cesse de nouvelles techniques, produit de nouvelles œuvres d'art, fait sans cesse de nouvelles découvertes. 

Les savoirs techniques et scientifiques se transmettent de génération en génération, mais les hommes les modifient sans cesse. Ils ne se contentent pas de reproduire à l'identique des objets préexistants, ils les transforment, les adaptent, les perfectionnent sans cesse, à l'instar de ces prolongements de la main humaine que sont les outils qui n'ont fait qu'évoluer depuis l'âge de pierre et l'époque de "l'homo faber". 

Selon la définition d'Aristote, l'homme est "animal parlant "(zoon logikon), un animal doué de raison, de parole, de pensée. Le langage est une faculté propre à l'homme. Inversement, comme l'a montré Descartes dans Le Discours de la Méthode, les animaux qui disposent d'organes phonatoires comme les perroquets, reproduisent les sons du langage humain, mais sans les comprendre. Ils ne font qu'imiter les sons qu'ils entendent. Ils ont donc un langage, mais pas de pensée. 

Le langage animal est inné, alors que le langage humain est acquis. Les animaux n'ont pas besoin d'apprendre à communiquer avec leurs congénères. Ils le font spontanément, naturellement, dès leur plus jeune âge, par instinct. Selon Emile Benveniste, un langage naturel, celui des animaux, est étroitement lié aux besoins : chez les abeilles, l'éclaireuse ne peut transmettre que des informations concernant la direction, la hauteur et la distance d'une source de miel, alors qu'un langage artificiel, comme le langage humain, est transmis par l'éducation et par la culture et n'est pas rivé aux besoins et à l'instinct : le langage humain est capable de transmettre toutes sortes d'idées. L'enfant apprend à parler grâce à l'éducation transmise par ses proches, ses parents, ses éducateurs. Comme le montre l'exemple des enfants sauvages, un enfant sans éducation ne saura jamais parler. 

Il y a une relation entre le langage, la culture et l'idée de progrès : les hommes font des progrès car ils disposent d'un langage conventionnel qu'ils peuvent modifier à leur gré, en inventant de nouveau mots. Il y a une histoire de la pensée, car il y a sans cesse de nouveau mots qui apparaissent. Le langage mathématique a permis à l'homme de "se rendre comme maître et possesseur de la nature". 

Le langage n'est pas spécifiquement lié à un organe spécialisé. A la différence du langage animal, le langage humain n'est pas inné, mais acquis. La dimension culturelle du langage renvoie à une faculté proprement humaine : la conscience, l'esprit et explique que l'homme a une Histoire. 

Renan a dit que l'humanité était composée de plus de morts que de vivants" et Bernard de Chartres que nous étions "des nains perchés sur les épaules de géants". L'expérience des hommes qui nous ont précédés ne s'éteint pas à leur mort, elle subsiste sous forme d'outils, de paroles orales ou écrites, de monuments et elle s'accumule "sans terme", il n'y a pas de bornes à l'accumulation du savoir et du savoir-faire humain. Les scientifiques feront toujours de nouvelles découvertes, observeront de nouvelles planètes, perceront de nouveaux mystères. 

Plus encore que la coopération et la transmission, c'est cette accumulation indéfinie qui élève l'homme au-dessus de la bête. 

Cette accumulation n'est possible que dans et par la société. L'homme est avant tout un animal social, un "être de relation", dit Saint-Exupéry. C'est la vie en société qui permet la mise en œuvre des trois principaux facteurs de l'hominisation : la coopération, la transmission et l'accumulation. 

 


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